Alcoolisme - complications neurologiques
Date de dernière édition : 5/11/2022
Le diagnostic se base sur l'anamnèse (déni fréquent !), la clinique et la biologie (en aigu : éthanolémie; en chronique : augmentation des enzymes hépatiques [++ gammaGT], macrocytose [VGM augmenté], +- hyperuricémie). Utilisé surtout en médico-légal : dosage de la CDT (Carbohydrate Deficient Transferrine, détecte l'alcoolisme chronique à partir de 60 g/j avec une spécificité de 98%). Les complications de l'alcoolisme chronique résultent généralement de la combinaison d'une toxicité directe de l'alcool, de carences nutritionnelles multiples (fort pouvoir calorique de l'alcool sans apport nutritionnel + toxicité digestive et hépatique), de prédispositions génétiques et, pour l'encéphalopathie hépatique, de la maladie hépatique associée.
Les complications aiguës potentiellement curables, toujours à évoquer face à un éthylique confus, nécessitant une PEC urgente sous peine de lourdes séquelles sont :
- Etat de mal non convulsivant
- Encéphalopathie de Wernicke
- Encéphalopathie pellagreuse
- Encéphalopathie hépatique (cf insuffisance hépatique aiguë) - décompensations cirrhotiques et hépatites éthyliques
- Urgences hypertensives
- Hypoglycémies, acido-cétose éthylique, sepsis, HSD, AVC HH, méningites / encéphalites, troubles ioniques (++ hypoNa), pancrétites aiguës,...
- Arythmies / insuffisance cardiaque aiguë avec mauvaise tolérance hémodynamique / AVC isch
- Rhabdomylolyses
→ Mesures systématiques face à un éthylique confus :
- Perf (! jamais de glucosé avant administration de vitamines !), paramètres, glycémie, biol (hémato-CRP-iono-glycémie-coag, fonctions hépatiques et rénale, lipase, éthanolémie, NH4, CK, tropo, vit B12, folates, vit E), toxico urinaire, RX thorax, ECG, gazométrie (acido-cétose éthylique ?)
- Vitamines IV : B1 (thiamine 500-1500 mg/j), B6 (pyridoxine 250 mg/j) + cernevit 1 A/j
- CT-crâne si possible trauma crânien
- EEG si disponible. Sinon test au temesta IV
- Correction lente des troubles ioniques ou hyperglycémies (risque de myélinolyse)
Intoxication éthylique aiguë (ivresse)
Ivresse : foetor alcoolique, troubles de l'équilibre/ de la coordination/ visuels/ de la marche/ de la mémoire/ de la parole, déshinibition, agressivité, V+, polyurie +- stupeur/ coma (d'abord agité puis calme hypotonique) avec dépression respiratoire. La symptomatologie apparait généralement à > 0,5g/l.
Complications possibles : pneumopathies d'inhalation, hypothermie, hypoglycémie, rhabdomyolyse, rares cas de pancréatites aiguës / acidose lactique menaçante/ collapsus cardiovasculaire/ décès. Syndrome de sevrage possible au décours.
A noter que :
- Une éthanolémie > 4 g/l implique un risque élevé de décès
- Le collapsus cardiovasculaire est rare et doit faire systématiquement rechercher une hypothermie et une prise associée de psychotropes
- Tout signe neurologique focal ou trouble de la conscience impose la réalisation d'un CT (hématome intracrânien sur trauma méconnu ?)
- Toute ivresse durant > 24h doit faire revoir le diag
Certains sont sujets à des ivresses pathologiques (= troubles du comportement de la conscience survenant chez des personnes prédisposées après une faible consommation d'alcool) : confusion sévère, forme excito-motrice (violence, agressivité), forme hallucinante ou délirante (persécution++).
- Perf IV, solution glucose 5% +- électrolytes + vit B1-B6 +- B12 et PP
- Si très récent/ prise de médocs associée → lavage d'estomac
- Si agitation sévère → 5-10 mg d'Haldol (!!! éviter les BZD : risque de dépression respi majoré !!!)
- Protection contre le froid.
- O2th si besoin (gazo)
- Si insuffisance respi/ trouble de la conscience sévère → discuter intubation et ventilation mécanique
- Si coma profond + alcoolémie > 5g/L → discuter hémodialyse !
Eventuel avis psy au décours (alcoolisme chronique ? conduite suicidaire ?)
Syndrome de sevrage alcoolique
Urgence relative → Clinique apparaît dans les 1-4j du sevrage :
- tremblements, irritabilité, N+/ V+, inappétence, sudation, troubles du sommeil, angoisses dans les 24 h
- HTA et tachycardie
- Hallus visuelles/ auditives
- Crises E répétées ++ entre 12-24h
- Delirium tremens = stade ultime ++ entre 2ème et 4ème jours, confuso-onirique : confusion, agitation psycho-motrice sévère, tachypnée, insomnies, hallus, tremblements, dysarthrie, troubles de l'équilibre et de la coordination, mydriase, température, tachycardie, transpiration, déshydratation. Souvent précédé par des crises E.
!! si convulsions, toujours exclure les autres causes (HSD,…), ou notion de chute → CT cérébral + biol (trouble métabolique / ionique ?) !!
Prise en charge en phase de sevrage végétatif ou de pré-délirium tremens :
- valium 10mg 4-6x/j (max 120mg/j, ++ si sevrage délirant), PO
- vit B1 (200 - 500mg/j IV les 5 1er j puis continuer avec du befact PO min 3 mois) - B6 – PP + oméprazole 20mg/j
- 10 mg valium (ou tranxin) IV en 10 min +- à répéter à max 100mg/h et max 250 mg/8h +- haldol si hallus
- O2th/ intubation + ventilation mécanique si besoin (gazo, insuffisance respi?)
- Clexane 40mg SC (prophylaxie anti thrombo-embolique)
- Oméprazole, vit B1-B6, hyperhydratation (jusqu'à 3-6L/j) en privilégiant le NaCl 0,9% (/ mixte)
Encéphalopathie de Wernicke
L'encéphalopathie de Wernicke est un syndrome aigu fréquent chez les éthyliques chroniques résultant de carences en vitamine B1 (thiamine). Grave et malheureusement fréquemment reconnue trop tardivement pour pouvoir bénéficier d'un traitement efficace, il s'agit d'une urgence médicale abordée dans un chapitre spécifique.
Encéphalopathie de Marchiafava-Bignami
Rare, caractérisé par une démyélinisation / nécrose du corps calleux et de la SB adjacente. Etiologie inconnue (toxicité directe de l'alcool ?) mais se rencontre presqu'exclusivement chez les "grands alcooliques dénutris".
Clinique d'évolution ++ aiguë / sub-aiguë / chronique : confusion, démence, mutisme akinétique, coma +- spasticité, dysarthrie, apraxie / ataxie de la marche.
L'IRM montre les lésions caractéristiques du corps calleux (hypersignaux T2, hypo en T1) +- SB, formations optiques, pédoncules cérébelleux.
Pas de tt hors supportif. Récupération rare.
Syndrome de Korsakoff
Généralement complication tardive du Wernicke (pas toujours retrouvé cliniquement) < carence en vit B1 (+- toxicité directe de l'alcool). 80% des Wernicke éthyliques (taux moins élevés pour les autres étiologies) garderont des séquelles caractéristiques d'un Korsakoff. Peut également se rencontrer dans diverses pathologies lésant les lobes temporaux internes.
Clinique : troubles mnésiques chroniques : amnésie antérograde prédominante + amnésie rétrograde +- confabulations/ fausses reconnaissances, anosognosie, désorientation. Généralement préservation relative de la mémoire ancienne et autres capacités cognitives…. mais parfois véritables démences.
L'IRM peut montrer des séquelles de Wernicke (++ atrophie des corps mamillaires) et des lésions / atrophie thalamique médian et du corps calleux.
Pas de tt codifié. Essayer les complexes de vit B. Récupérations rares.
Polyneuropathies alcoolo-carentielles et autres neuropathies
Encéphalopathie pellagreuse
Plus rare que l'encéphalopathie de Wernicke. Due à un déficit en vit PP = B3 = nicotinamide.
Clinique : confusion, agitation, hallucinations hypertonie oppositionnelle, myoclonies +- érythème cutané (dermatite siégeant sur les zones découvertes… svt confondu avec un bronzage…) +- diarrhée chronique. Les signes neurologiques sont généralement tardifs (++ limités au début à des troubles dépressifs, labilité émotionnelle, bradypsychie).
Traitement : supplémentation en vit PP (50-500 mg/j) + régime riche en tryptophane (ex : lait, œufs,…).
Démence éthylique
Cf Démences
Dégénérescence cérébelleuse éthylique
Rare < carences nutritionnelles et toxicité directe de l'alcool. Survient surtout après > 140 g d'alcool/j durant > 10 ans avec une malnutrition.
Clinique : installation ++ sur qq sem / mois, parfois sur des années, parfois sur qq j. Ataxie ++ tronculaire (atteinte vermienne), à la marche et troubles de la coordination des MI. Peut se voir rarement et tardivement : dysarthrie, tremblement et troubles de la coordination des MS, diplopie intermittente, nystagmus. Le DD est difficile avec un Wernicke frustre limité à une ataxie, une intoxication chronique aux sédatifs, une MSA.
L'IRM montre généralement une atrophie cérébelleuse (! Une atrophie cérébelleuse asymptomatique et d'importance variable est présente chez ≈ 25% des éthyliques au long cours !)
Pas de traitement spécifique. Stabilisation en cas d'arrêt de la consommation d'alcool et d'amélioration de la nutrition (rares cas d'améliorations partielles).
Myopathies éthyliques
Différentes formes cliniques :
- cardiomyopathie
- myopathie aiguë → faiblesse + gonflement douloureux des muscles → CK, CK-MB, myoglobinurie + nécrose musculaire à la biopsie, EMG caractéristique
- Évolution parfois dramatique : dysphagie, insuffisance cardiaque, hypoK sévère
- Généralement réversible en qq jours à qq mois si abstinence
- myopathie subaiguë/ chronique → faiblesse des ceintures. Touche jusqu'à 50% des alcoolos. CPK augmentées sans myoglobinurie. Diag : EMG + biopsie. Très lente régression progressive si abstinence
PEC : uniquement symptomatique + supplémentation vitaminique + sevrage (→ l'amélioration partielle est la règle).
Amblyopie (diminution d'acuité visuelle) alcoolo-carentielle
Névrite optique toxique et carentielle. Diminution progressive, bilatérale et asymétrique de l'AV. Trouble visuel évocateur : scotome central bilatéral. DD : autres causes de névrites optiques (! fréquente coexistence avec une autre cause de neuropathie optique toxique : le tabagisme).
Traitement = amélioration de la nutrition + apport en vit B + sevrage éthylo-tabagique → régression habituelle. Sinon progression habituelle vers la cécité.
Autres complications neurologiques
- Risque accru d'hypoglycémies (intoxication aiguë, fréquence élevée de diabètes mal traités)
- Incidence accrue de troubles ioniques et de myélinolyse centro-pontine (cf hyponatrémies) en cas de correction
- Risque accru d'infections. Toujours suspecter une méningite devant une confusion/ altération progressive de la conscience.
- Incidence accrue de consommation de benzos et polytoxicomanies → au moindre doute : dosages sanguins de toxiques et médocs en cas d'altération de la conscience/ confusion.
- Incidence accrue de traumas → RX crâne / CT cérébral au moinde doute
- Complications neurologiques de pathologies d'autres organes induites par l'alcool. Ex : ++ encéphalopathie hépatique.
- Incidence accrue d'arythmies, d'urgences hypertensives,…
- Autres carences en vitamines pouvant se manifester par une confusion / troubles psychiatriques aigus (B12, folates), une ataxie (B12, E), un état de mal E (B6).
Préparer un sevrage
N'est jamais une urgence ! Préparer le terrain et envisager une hospitalisation à distance !
- Dépister une consommation problématique :
- Facteurs d'alerte : bois tous les j, pas de contrôle sur la consommation, pense à boire, "être bien = boire", "boire = besoin", malaise si pas de consommation la veille, remarques de tiers, "trous noirs", (risques d') accidents,…
- FR : atcdts familiaux d'alcoolisme, environnement précaire, autres dépendances, troubles psys
- Demande d'aide de proches/ du patient
- En parler, évaluer la motivation
- Si non motivé :
- Soutien des proches, conseiller d'en parler calmement avec le patient à jeun +- présence du médecin, conseiller de fixer des limites claires et avertir des conséquences si elles ne sont pas tenues, orienter vers des structures d'aide
- Soutien du patient, expliquer les conséquences sans jugement, orienter vers des structures d'aide
- Si motivé :
- Idem que si non motivé. Si ambivalent : faire bilan positif/ négatif psycho-social/ biologique/ clinique/ estime de soi
- Décider : réduction ou abstinence ? Favoriser abstinence mais passer par une période de récution progressive pour minimiser le risque de syndrome de sevrage. Elaborer un plan d'action et de suivi
- Construire un soutien psycho-social
- Traitement pré-sevrage : Befact forte 2x/j + diminution progressive des quantités consommées + campral 3x2co/j 2 sem avant le sevrage (++ pour maintien)
- Éviter les BZD, neuroleptiques et antidépresseurs
- Moment du sevrage : augmenter vitamines B + introduire BZD (40-120 mg/j de valium durant 5j à adapter, max 60mg en ambulatoire, diminuer ensuite de 10mg tous les 2j) +- trazolan 50-200mg au soir si insomnie/ anxiété
- Suivi rapproché, vigilance particulière durant les 8-10h suivant la 1ère prise !
- Hospitalisation en cas de signe d'alerte clinique/ désir du patient/ isolement - jamais en urgence - toujours en concertation avec un psychiatre
- Maintien et suivi : campral/ antabuse +- centre de post cure + suivi régulier avec thérapie cognitivo-comportementale et réadaptation psycho-sociale + soutien psy +- aide sociale
- Si non motivé :
Auteur(s)
Dr Shanan Khairi, MD