Cardiomyopathies de stress

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  Auteur(s) : Dr Shanan Khairi
  Date de dernière édition : 22/09/2024

Les cardiomyopathies de stress sont des cardiomyopathies aiguës, généralement réversibles et de bon pronostic, supposées secondaires à une sidération cathécolaminergique et touchant préférentiellement les femmes.

Sur base de petites séries, elles représentent 1 à 2% des admissions aux urgences pour syndrome coronarien aigu. Elles sont cependant considérées comme sous-diagnostiquées et regrouperaient encore jusqu'à 2% des diagnostics des événements catalogués infarctus STEMI.

Elles sont mal connues (le Tako-Tsubo en fût la première forme décrite en 1990) et constituent aujourd'hui plus un regroupement syndromique qu'une véritable pathologie.

Eléments de physiopathologie

On n'y comprend pas encore grand chose... Différentes hypothèses ont été posées :

Le rôle du stress et des catécholamines

  • Le taux de noradrénaline et de dopamine est (jusqu'à 8 x) plus élevé que la normale (bien plus que dans les infarctus) chez plus de 70% des patients étudiés
  • Des études basées sur des scintigraphies au MIBG (fixe les récepteurs aux catécholamines) démontrent un défaut de fixation (récepteurs déjà sidérés par les catécholamines). Alors que les scintigraphies au Tc (perfusion) ne montrent soit aucune anomalie soit des anomalies insuffisantes à expliquer les anomalies fonctionnelles.
  • La grande majorité des cas décrits retrouvent une notion de "stress" physique ou psychique.

Cela plaide pour une intoxication cathécolaminergique entraînant une sidération métabolique réversible.

Une atteinte microcirculatoire, des spasmes coronariens, des occlusions coronaires avec thrombolyses spontanées ("infarctus avortés") ou un phénomène de stress oxydatif ont été évoqués (sur base d'anomalies aux examens complémentaires objectivées dans quelques cas) mais demeurent incertains.

L'atteinte préférentielle de l'apex

  • L'apex cardiaque serait plus sensible du fait de : territoire de perfusion terminal, élasticité différente
  • Possible switch de transmission intra-cellulaire : lors de décharges catécholaminergiques supra-physiologiques, des protéines G stimulatrices des récepteurs béta 2 deviendraient inhibitrices avec effet inotrope négatif (l'effet positif serait de contrer l'effet pro-apoptotique de la stimulation continue des récepteurs béta 1 → sidération, qui toucherait plus l'apex du fait d'une plus grande concentration des récepteurs béta-adrénergiques)

La prévalence féminine dans le Tako-Tsubo

Les femmes seraient plus touchées de par l'effet des œstrogènes (effet direct sur le système cardio-vasculaire, via un rééquilibrage des récepteurs béta 1 et béta 2)... Autre possibilité : réponses différentes à différents types de stress selon le sexe,...

Présentations achétypales - classification morphologique

Cette "classification", essentiellement basée sur des considérations morphologiques, découle d'une construction historique. En effet, en 1990 au Japon a été initialement décrit un syndrome de cardiomyopathie aiguë mimant fréquemment un syndrome coronarien aigu, réversible, idiopathique dans un contexte de stress émotionnel et touchant préférentiellement la femme ménopausée. Ce syndrome avait été dénommé "Tako-Tsubo" (piège à pieuvres) du fait de l'atteinte de l'apex cardiaque donnant une image échographique de ballonnement apical. Depuis lors, de nombreuses "variantes" morphologiques on été décrites.

Il est cependant évident que, dans l'état actuel des connaissances, cette classification est très artificielle et présente peu d'intérêts :

  • toutes les "variantes" morphologiques ont été décrites
  • le ventricule droit peut être impliqué dans toutes les "variantes"
  • toutes les "variantes" peuvent être secondaires et il n'y a pas de démonstration de différence physiopathologique
  • la clinique est similaire
  • elle induit une fréquente confusion chez le non spécialiste pour qui la "cardiomyopathie de stress" est encore trop souvent synonyme de Tako-Tsubo
  • son seul intérêt pratique réside dans le fait que certaines complications (obstruction du flux de sortie ventriculaire gauche, risque thrombo-embolique) dépendent de la distribution (localisation et étendue) des anomalies de contractilité

Il semble donc plus opportun en pratique clinique d'utiliser le vocable "cardiomyopathie de stress" en précisant son caractère idiopathique ou secondaire et ses caractéristiques morphologiques. Du fait de l'utilisation encore fréquente de cette classification, elle est néanmoins présentée brièvement.

Tako-Tsubo

Le Tako-Tsubo (= syndrome de ballonnement apical = dysfonction médio-apicale ventriculaire gauche transitoire après un stress = syndrome du "coeur brisé") correspond à la forme décrite initialement et le plus fréquemment.

Le Tako-Tsubo inverse

Le Tako-Tsubo inverse (= SQUID syndrome) correspond à l'atteinte isolée de la base du coeur.

La dysfonction ventriculaire gauche médio-basale ou médiale isolée

L'hypokinésie ventriculaire gauche globale

Les autres anomalies de contractilité ne suivant pas une distribution coronarienne

Etiologies

  • Formes idiopathiques (≈ 60% des cas)
    • Avec une notion de "stress psychologique" retrouvée
    • Sans notion de stress psychologique
  • Formes secondaires (≈ 40% des cas)
    • Phéochromocytomes et paragangliomes sécrétants (surproduction endogène de catecholamines)
    • Administration exogène de substances catécholaminergiques (ß-mimétiques, adrénaline, noradrénaline, amphétamines, cocaïne, methylxantines,...)
    • Accidents vasculaires cérébraux hémorragiques et ischémiques
    • Traumas crâniens
    • Opérations chirurgicales
    • Toute "pathologie aiguë" tel que le sepsis

A noter cependant que :

  • La notion de "stress psychologique" est non seulement très subjective mais difficile à interpréter dans le contexte de patients présentant une symptomatologie de syndrome coronarien
  • Lorsque l'histoire clinique est floue, se pose parfois le problème "de l'oeuf et la poule"... Ex : cardiomyopathie de stress secondaire à une hémorragie cérébrale intra-parenchymateuse avec hypertension artérielle réactionnelle ou... urgence hypertensive se manifestant par une cardiomyopathie de stress et une hémorragie cérébrale intra-parenchymateuse ?
  • Certains auteurs distinguent les cardiomyopathies catécholaminergiques secondaires à un phéochromocytome ou un processus expansif intra-crânien ("cardiomyopathies neuro-cardiogéniques") comme des entités à part entière.

Clinique

La clinique est généralement similaire à celle d'un syndrome coronarien aigu : douleurs rétrosternales aiguës angoreuses et dyspnée, parfois accompagné d'une tachycardie ventriculaire. On peut cependant également rencontrer des douleurs thoraciques atypiques ou une symptomatologie isolée d'insuffisance cardiaque aiguë.

Dans plus de 80% des cas de "Tako-Tsubo", il s'agit d'une femme ménopausée.

Eventuelle symptomatologie liée à l'éventuelle pathologie causale, parfois aspécifiques dans le contexte aigu (ex : de discrets vertiges non rotatoires dans un contexte de douleurs thoraciques et d'insuffisance cardiaque aiguë font-ils vraiment penser à une hémorragie cérébelleuse ?). Selon les cas, les plaintes de la pathologie causale peuvent masquer celles de la cardiomyopathie ou inversément.

Complications

Insuffisance cardiaque aiguë et plus rarement : arythmies (y compris tachycardie et fibrillation ventriculaire), cardio-embolies périphériques, insuffisance mitrale, véritable choc cardiogénique.

Examens complémentaires

  • Biologie : élévation variable des enzymes cardiaque avec généralement une élévation dynamique "modérée" (faible au regard des anomalies échographiques) des troponines
  • Electrocardiogramme : sus-décalage ST et/ ou inversion évolutive des ondes T dans les précordiales, parfois anomalies ST aspécifiques, ondes Q,…
  • Coronographie : le diagnostic positif suppose par définition l'absence de lésion coronaire significative... à relativiser de par la haute prévalence de lésions coronaires dans la population générale...
  • Echographie cardiaque :
    • altération de la fonction cardiaque avec habituelle diminution de la fraction d'éjection ventriculaire gauche
    • troubles segmentaires de la cinétique ventriculaire. ++ au ventricule gauche, mais l'entreprise du ventricule droit est possible. Le plus souvent au niveau de l'apex mais des atteintes des segments médians ou de la base sont maintenant bien documentées
    • peut mettre en évidence un éventuel thrombus intra-cavitaire (sur troubles de la contractilité)
  • IRM cardiaque : mêmes informations que l'échographie. Les prises de contrastes qu'on peut observer dans les infarctus ou les myocardites sont typiquement absentes. Peut mettre en évidence d'autres anomalies aspécifiques (tel qu'un oedème myocardique qu'on peut également retrouver dans les infarctus ou les myocardites).
  • Divers selon l'éventuelle suspicion étiologique. Il semble cependant raisonnable (examens peu onéreux et non invasifs) de réaliser systématiquement
    • en phase aiguë : CT-scanner cérébral
    • à distance de l'épisode aigu : holter de tension artérielle de 24 heures, récolte urinaire de 24 heures (dosage des métanéphrines).

Diagnostics différentiels

Le diagnostic de cardiomyopathie de stress est un diagnostic d'exclusion.

Il suppose avant tout la présence d'un tableau clinique de syndrome conoraire aigu avec survenue de nouvelles anomalies à l'électrocardiogramme (+++ segment ST ou onde T) et/ ou d'une élévation des troponines.

Dès lors, il convient d'exclure une coronopathie obstructive ou de preuve angiographique d’une rupture aiguë de plaque.

Le diagnostic différentiel comprend ensuite les autres "syndromes coronariens à coronographie normale" et cardiomyopathies potentiellement réversibles : myocardites infectieuses ou auto-immunes, angor spastique, angor microvasculaire, toxiques, cardiomyopathies réversibles induites par des tachyarythmies, cardiomyopathies du péri-partum, cardiomyopathies métaboliques (ex : cardiomyopathie réversible hyper- ou hypothyroïdienne, cardiomyopathie cirrhotique, cardiomyopathie urémique,...),...

Pronostic

Le pronostic est réputé très favorable. La mortalité intra-hospitalière serait de ≈ 2% (0 à 8% selon les séries) mais dépend évidemment de l'éventuelle pathologie causale. Bien que des cas de séquelles soient décrits (insuffisance cardiaque chronique, insuffisance mitrale,...), la normalisation spontanée de la fonction cardiaque endéans le mois semble être la règle. Des anomalies électrocardiographiques diverses (QT long, PR allongé, Q antérieures) peuvent cependant longtemps persister.

Selon une série, 31% des patients ayant passé le cap aigu présenteront par la suite des épisodes récurrents de douleurs thoraciques et 10% une véritable récidive de cardiomyopathie de stress. Il n'y a cependant pas de démonstration de différence de mortalité à long terme par rapport à la population générale.

Prise en charge thérapeutique - Traitements

  • Prise en charge d'une éventuelle étiologie
  • Prise en charge symptomatique et supportive des manifestations cliniques. Eviter les inotropes positifs en cas d'obstruction du flux de sortie du ventricule gauche
  • A traiter comme un syndrome coronarien aigu jusqu'à preuve du contraire. Une possibilité de STEMI impose toujours la réalisation d'une coronarographie ou, à défaut, d'une thrombolyse. En l'absence de modifications électrocardiographiques suggérant un STEMI, le patient est à prendre en charge comme un angor instable ou NSTEMI jusqu'à preuve du contraire
  • Anticoagulation durant 3 mois en cas de survenue d'un événement thrombo-embolique ou de mise en évidence d'un thrombus intra-cardiaque. Il n'y a pas d'evidence suffisante pour recommander une anticoagulation dans les autres cas et il semble alors plus raisonnable de réaliser régulièrement des échographies de contrôle jusqu'à normalisation de la cinétique cardiaque
  • La réassurance du patient lors de la prise en charge aiguë tient ici un rôle majeur… mais cela devrait de toute façon toujours être le cas

Dans le cas où le diagnostic est retenu et en l'absence de pathologie somatique sous-jacente, il semble raisonnable d'envisager systématiquement la prescription d'anxiolytiques et d'un suivi psychologique.

Aux frontières du concept

Au cours de toutes les étiologies listées ci-dessus, il n'est pas rare d'observer des modifications électrocardiographiques et/ ou des élévations légères à modérées des troponines mais sans atteinte de la fonction cardiaque ni anomalie de la contractilité à l'échographie. Sous réserve qu'un syndrome coronarien ou une myocardite intercurrents aient été exclus et bien qu'elles n'en remplissent pas les critères, il ne fait guère de doute que ces situations font partie du même spectre physiopathogénique que les cardiomyopathies de stress. En particulier, ces anomalies ont été significativement liées à la survenue d'une véritable cardiomyopathie de stress ou d'un vasospasme cérébral en ce qui concerne les hémorragies sous-arachnoïdiennes. Faute d'evidence, aucune recommandation particulière n'existe quant à ces cas. Il semble cependant raisonnable, après avoir écarté les diagnostics différentiels, de renforcer leur surveillance clinique et d'effectuer des échographies cardiaques et dosages d'enzymes cardiaques de contrôle en cours d'hospitalisation.

Bibliographie

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