Dissection des artères cervico-encéphaliques
Date de dernière édition : 22/09/2024
L'incidence des dissections des artères cervico-encéphaliques est d'environ 4/ 100.000 habitants / an. L'âge moyen de survenue est d'environ 40 ans. Elles seraient la cause de 20% des accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques des moins de 50 ans. Leur diagnostic précoce est crucial, une prise en charge précoce réduisant efficacement le risque de survenue d'AVC.
Eléments de physiopathologie
Une dissection artérielle consiste en une rupture d'une ou plusieurs des couches, le plus souvent limitée à l'intima, de la paroi artérielle permettant l'irruption de sang et le clivage de la paroi par un hématome intrapariétal. Elle provoque un rétrécissement, voire une occlusion, de la lumière artérielle.
Les dissections cervico-encéphaliques peuvent entraîner des signes locaux (liés à la compression des structures avoisinantes) et des signes d'ischémie cérébrale ou rétinienne, pouvant survenir de quelques heures à 1 mois plus tard liés à la survenue de phénomènes thrombo-emboliques à partir d'un thrombus formé sur l'artère disséquée ou à une baisse de débit en aval de la sténose de la lumière artérielle.
Les plus fréquentes sont celles de la carotide interne extracrânienne et celles de la vertébrale entre l'atlas et l'axis. Les dissections des artères intracrâniennes sont réputées plus rares mais leur incidence est possiblement sous-estimée de par leur diagnostic plus difficile.
Etiologies et facteurs favorisants
- Dissections spontanées (plus de la moitié des cas)
- Facteurs favorisants : hypertension artérielle non contrôlée, Marfan, Ehlers-Danlos, polykystose rénale, dysplasie fibromusculaire, allongements artériels,…
- Dissections traumatiques
- Trauma à haute énergie (accidents de roulage ++)
- Manipulations cervicales
- Dissections iatrogènes sur procédures endovasculaires
- Vasculites infectieuses ou inflammatoires
Tableaux cliniques selon le siège de la dissection
Une dissection d'une artère intracrânienne doit toujours être suspectée en cas de signes locaux (cervicalgies, céphalées, Claude-Bernard-Horner) précédant des signes d'ischémie cérébrale, ++ en présence d'une notion de trauma récent.
Dissections de la carotide interne extra-crânienne
Elles sont bilatérales dans 14% des cas.
Signes locaux (isolés dans 25% des cas) :
- Céphalées (++ frontales et périorbitaires) et/ ou cervicalgies (65 à 75% des cas)
- Syndrome de Claude-Bernard-Horner par compression du sympathique péricarotidien (30 à 50% des cas)
- Acouphènes (~ 5%)
- Paralysies des derniers nerfs crâniens (rares, ++ paralysie linguale)
Signes ischémiques (survenant dans 75% des cas) :
- Accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques, transitoires (AIT) ou constitués, ++ dans le territoire de l'artère cérébrale moyenne (ACM)
- Suivent les signes locaux de quelques heures à 1 mois, mais 80% surviennent endéans 1 semaine
- Symptômes et signes neuro-ophtalmiques dans 63% des cas
- Cécité monoculaire transitoire (sur embolies rétiniennes, ~30% des cas), neuropathie optique ischémique (~ 2,5%), paralysies oculomotrices (< 1%)
Dissections de la carotide primitive
Elles sont le plus souvent post-traumatiques dans le cadre de l'extension d'une dissection aortique.
Dissections de la carotide interne intra-crânienne
Elles entraînent généralement une céphalée sévère suivie d'accidents vasculaires cérébraux ischémiques constitués massifs de mauvais pronostic.
Dissections de la vertébrale extra-crânienne
Elles sont bilatérale dans 30 à 60% des cas.
Signes locaux (dans 75% des cas) : céphalées (++ occipitales) et/ ou cervicalgies.
Signes ischémiques (dans 75% des cas) : accidents vasculaires cérébraux ischémiques du territoire vertébro-basilaire (bulbe, tronc, cervelet, lobes occipitaux). Un syndrome de Wallenberg (33% des cas) est très évocateur.
Dissections de la vertébrale intra-crânienne et/ ou du tronc basilaire
Elles sont très rares. Fréquemment à l'origine d'une hémorragie sous-arachnoïdienne (HSA) +- associé à un accident vasculaire cérébral ischémique constitué du tronc cérébral.
Dissections multiples
Les lésions multiples ne sont pas rares. Ainsi les dissections vertébrales sont bilatérales dans 30 à 60% des cas selon les séries et associées à une dissection carotidienne dans ~ 30% des cas. La survenue de dissections multiples doit faire rechercher une artériopathie favorisante sous-jacente.
Screening dans un contexte post-traumatique
Lors d'un trauma, particulièrement à haute énergie, les dissections cervicales ne sont pas exceptionnelles et trop souvent diagnostiquées après la survenue d'un accident vasculaire cérébral ischémique. A l'inverse, il n'est ni envisageable ni souhaitable de réaliser des imageries dans tous les cas.
Dans un tel contexte, il est actuellement recommandé de réaliser un angio-CT-scanner cervical ou une angiographie conventionnelle en cas de présence d'un des critères modifiés de Denver :
- Présence d'un signe suggestif parmi :
- Souffle cervical chez un patient < 50 ans
- Hématome cervical expansif
- Hémorragie artérielle
- Anomalie neurologique non expliquée par les lésions déjà établies
- Apparition d'une plage ischémique à un CT-scanner cérébral de contrôle
- Présence d'un facteur de risque = trauma à haute énergie + un critère parmi :
- Subluxation vertébrale ou fracture vertébrale entreprenant un foramen transverse ou fracture C1-C3
- Fracture Lefort II ou III
- Fracture de la base du crâne entreprenant le siphon carotidien
- Lésions axonales diffuses avec Glasgow < 6
- Pendaison avec lésions anoxiques
Examens complémentaires urgents
Aucun de ces examens ne permet d'éliminer formellement une dissection → sont à utiliser en synergie : échographie-doppler cervicale (+- transcrânienne) + angio-IRM ou angio-CT-scanner cervico-crânien.
Ces examens sont urgents car :
- Risque important de (re)survenue d'AVC constitués
- La régression des images de dissection est fréquente et peut être rapide alors que le risque d'événement thrombo-embolique persiste
+ bilan d'accident vasculaire cérébral le cas échéant.
Echographie-doppler cervicale (+- trans-crânienne)
Constitue l'examen de première intention car peu invasif et disponible. L'echo-doppler cervicale a une bonne sensibilité, sauf pour les dissections hautes.
Le dupplex transcrânien, permettant d'évaluer le retentissement hémodynamique intracrânien en aval, n'est plus que rarement utilisé.
(Angio)-IRM ou angio-CT-scanner
L'IRM (demander une séquence en densité protonique) permet de visualiser l'hématome pariétal, l'angio-RM permet d'évaluer son extension et le retentissement sur la lumière artérielle et le flux intracrânien. Les sensibilité et spécificité de l'IRM, qui reste l'examen recommandé en 1ère intention par la plupart des auteurs, sont mal déterminées et l'examen reste peu accessible en urgence → l'angio-CT-scanner est généralement préféré.
Artériographie conventionnelle
Constitue le Gold Standard (DSA, artériographie de soustraction) mais n'est plus que rarement réalisée du fait de son caractère invasif et des progrès de l'IRM et du scanner. A réaliser en cas de forte suspicion clinique avec IRM non ou peu contributive. Permet également de rechercher une dysplasie fibromusculaire sur les artères rénales.
Pronostic - suivi
Le pronostic est avant tout conditionné par la survenue et la sévérité clinique d'un éventuel accident vasculaire cérébral ischémique constitué. Globalement le pronostic des dissections extracrâniennes est favorable (surtout pour les dissections vertébrales).
- Dissection de la carotide interne → 4% de décès – 25% de déficits modérés à sévères – 21% de déficits mineurs – 50% d'absence de séquelle
- Dissection vertébrale → 6% de décès – 11% de déficits modérés à sévères – 21% de déficits mineurs – 63% d'absence de séquelle
Après normalisation de la paroi, le risque de récidive est faible (1%/ an) → en cas de récidive : recherche systématique d'une maladie favorisante sous-jacente.
Prise en charge thérapeutique - Traitements
De manière générale, l'EBM est faible à inexistante quant à la prise en charge des dissections des artères cervico-encéphaliques, en particulier quant au choix entre antiplaquettaires et anticoagulants. Leur prise en charge est variable selon les centres.
Il n'y a pas de recommandation quant à l'utilité de suivi radiologique au long cours, même en cas de persistance d'anomalies de la paroi artérielle.
Considérations générales
- Mise en décubitus strict, pieds relevés (prévention d'un accident vasculaire cérébral hémodynamique) : controversé
- Prise en charge (contrôle tensionnel,...) d'un éventuel accident vasculaire cérébral ischémique et mesures non spécifiques selon les considérations habituelles
- En particulier, il n'y a pas d'EBM justifiant de ne pas mettre en oeuvre les procédures de thrombolyses IV et/ ou IA pour les patients qui y sont éligibles. On ne peut que se borner à recommander une attention clinico-radiologique particulière quant aux éventuelles complications hémorragiques
- En cas d'hémorragie intracrânienne secondaire ou iatrogène, prise en charge spécifique avant d'envisager un traitement anti-thrombotique à distance selon avis neurochirurgical
- Dépistage et prise en charge des facteurs de risque cardio-vasculaires
Des dissections extra-crâniennes
- Selon les préférences du centre et l'évaluation du risque hémorragique : choisir entre antiplaquettaire et anticoagulation (bien que cette dernière soit souvent préférée, il n'y a pas de différence démontrée en termes de bénéfices et de risques)
- Ex en cas de choix d'antiplaquettaire : acide acétyl-salicylique (AAS) 100 à 300 mg/ jour → contrôle ARM à 6 mois → maintien de l'AAS en cas de persistance d'anomalies de la paroi artérielle (sténose, irrégularités pariétales, anévrismes secondaires,...)
- Ex de schéma en cas de choix d'anticoagulation : Héparine à dose thérapeutique → relais précoce par antagonistes de la vitamine K (AVK) ou nouveaux anticoagulants oraux (NOACs) à poursuivre :
- 6 semaines si dissection sans accident vasculaire cérébral associé → relais par acide acétylsalicylique (AAS) 100 à 300 mg/ jour
- 6 mois en cas d'accident vasculaire cérébral ischémique associé → contrôle ARM (ou artériographie)
- Si normalisation → relais par AAS 100 à 300 mg/ jour pendant 1 an
- Si sténose, irrégularités pariétales ou anévrismes → poursuivre AVK durant 3 mois jusqu'à nouvelle imagerie
- Les indications chirurgicales ou endovasculaires sont exceptionnelles (pluie d'accidents ischémiques transitoires, formation d'une sténose sub-occlusive avec mauvaise reprise en charge du polygone de Willis,…) et non codifiées
Des dissections intra-crâniennes
- Risque d'hémorragie sous-arachnoïdienne secondaire théorique (absence de limitante élastique externe et amincissement des autres tuniques des vaisseaux intracrâniens) → contre-indication théorique aux anticoagulants → consensus actuel : traitement symptomatique → traitement antiplaquettaire (ex : AAS 160 mg/ j) et contrôle ARM à 6 mois
- En cas de persistance d'une sténose artérielle : maintien de l'antiplaquettaire
- Les indications endovasculaires sont exceptionnelles et non codifiées.
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