Fibromyalgie - syndrome polyalgique diffus

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  Auteur(s) : Dr Shanan Khairi
  Date de dernière édition : 6/10/2024

La fibromyalgie ou syndrome polyalgique diffus idiopathique est un syndrome clinique "fonctionnel" associant des douleurs musculo-squelettiques diffuses à des plaintes variables. Elle suppose par définition l'absence d'anomalie clinique objective ou de complication médicale. L'espérance de vie des patients est normale. Son étiopathogénie demeure inconnue et sa pertinence même discutée.

Il s'agit d'un syndrome fréquent dont la prévalence, augmentant avec l'âge, est estimée à 1 à 7,5% de la population selon les critères retenus. Le sex-ratio est de 7 femmes pour 1 homme. La prise en charge thérapeutique, fréquemment décevante, demeure empirique et associe à des degrés variables des mesures paramédicales à un traitement médicamenteux symptomatique.

A noter que si l'appellation anglo-saxonne fibromyalgie, historique, demeure la plus répandue, nombre de rhumatologues francophones préfèrent celle de syndrome polyalgique diffus idiopathique, plus descriptif.

Notions d'étiopathogénie

A l'instar d'autres syndromes "fonctionnels" (syndrome de fatigue chronique, spasmophilie, syndrome du colon irritable,...) il n'y a toujours pas d'étiologie ni de mécanisme physiopathologique relatif à la fibromyalgie déterminé avec certitude. De très nombreuses études de laboratoires ont été publiées "suggérant" (absence de signification statistique) chacune telle ou telle anomalie comme "possiblement" impliquée. Ces anomalies recouvrent des troubles neuro-hormonaux, des troubles du sommeil, des troubles du système nerveux autonome, des altérations des récepteurs nociceptifs périphériques,... La question de prédispositions génétiques et/ ou de divers facteurs exogènes reste également ouverte...

Après avoir longtemps été majoritairement considérée comme relevant exclusivement de la psychiatrie, la principale hypothèse actuelle est celle d'une altération multifactorielle des mécanismes de régulation de la douleur. Quoi qu'il en soit, le corps médical demeure (parfois violemment) partagé non seulement sur l'origine mais sur l'organicité elle-même du syndrome.

Il est également plausible que ce syndrome recouvre des situations fort différentes :

  • Part de patients mal diagnostiqués présentant en réalité une pathologie rhumatismale ou systémique frustre (voir diagnostics différentiels) ?
  • Part de patients présentant une (ou plusieurs) maladie(s) encore inconnue(s) ?
  • Part de patient dont l'origine des troubles est psychologique ou psychiatrique ?

Ceci est d'autant plus probable que la définition syndromique exclusivement clinique - qu'on peut résumer par "douleurs musculo-squelettiques chroniques diffuses associées à une fatigue chronique et des plaintes diverses sans cause retrouvée" - est extrêmement vague...

Clinique

La symptomatologie cardinale est constituée de douleurs musculo-squelettiques diffuses. A l’examen clinique, on peut noter des douleurs à la palpation de muscles ou d'articulations contrastant avec un examen clinique objectif strictement normal (toute anomalie doit faire évoquer un diagnostic différentiel).

Une fatigue chronique, voire une asthénie, des symptômes anxio-dépressifs, des céphalées chroniques mal systématisées et des troubles du sommeil sont fréquents. Peuvent s’y ajouter également une grande variété de plaintes (troubles mnésiques, troubles sexuels, troubles digestifs, lipothymies, palpitations,…).

La symptomatologie est ordinairement exacerbée par les facteurs de stress (en ce inclus… les éventuels conflits avec le thérapeute) ou les modifications de l’environnement.

Diagnostic et critères cliniques de l'ACR (critères révisés de 2016)

Fibromyalgie - syndrome polyalgique diffus - critères diagnostiques de l'ACR (2010)
Fibromyalgie - syndrome polyalgique diffus - critères diagnostiques de l'ACR (révisés de 2016)

Les classiques "points douloureux" ("tender points") à la palpation définis en 1990 ne sont plus requis par l'ACR (American College of Rheumatology). Les nouveaux critères reposent uniquement sur l'anamnèse et l'absence de diagnostic alternatif susceptible d'expliquer la symptomatologie. Ils ont été "simplifiés" en 2016. L'ensemble de ces critères doivent être réunis :

  • Symptomatologie compatible - une de ces deux situations :
    • Index d'étendue des douleurs ("Widespread pain index", WPI) > 7 et sévérité des symptômes associés  ("symptom severity", SS) > 5
    • Ou WPI entre 3 et 6 et SS > 9
  • Durée depuis au moins 3 mois
  • Absence d'argument pour une pathologie susceptible d'expliquer les plaintes
  • Présence de douleurs dans au moins 4 régions sur 5.

Le WPI ("Widespread Pain Index") est défini comme le nombre de zones douloureuses organisées en "régions" sur la dernière semaine. Il est compris entre 0 et 19 (1 point par "zone douloureuse"). Ces régions sont :

  • "Région supérieure gauche" avec les zones suivantes : joue gauche, épaule gauche, bras gauche, avant-bras gauche
  • "Région supérieure droite" avec les zones suivantes : joue droite, épaule droite, bras droit, avant-bras droit
  • "Région inférieure gauche" avec les zones suivantes : hanche gauche, cuisse gauche, jambe gauche
  • "Région inférieure droite" avec les zones suivantes : hanche droite, cuisse droite, jambe droite
  • "Région axiale" avec les zones suivantes : nuque, dos supérieur, dos inférieur, thorax, abdomen

Le SS ("Symptom Severity") est compris entre 0 et 12. Il est calculé comme la somme de points à attribuer à 4 items sur la dernière semaine :

  • Les items à coter sont :
    • Fatigue
    • Impression d'être "non reposé" au réveil
    • Plaintes cognitives
    • Nombre de plaintes "somatiques" : céphalées, douleurs de l'abdomen inférieur, dépression
  • Le nombre de points à attribuer pour chacun des trois premiers items est déterminé ainsi :
    • 0 = absence de plainte
    • 1 = plaintes "légères ou intermittentes"
    • 2 = plaintes "modérées"
    • 3 = plaintes "sévères, permanentes ou perturbant la vie sociale"
  • Les 3 plaintes "somatiques" comptent chacune pour 1 point.

A noter évidemment que, selon la publication même de l'ACR, ces critères n'ont d'autre objectif que d'homogénéiser et de faciliter la pratique clinique. Au vu de l'impossibilité de confronter leur validité à des anomalies objectives (la validation statistique est basée sur les précédents critères ACR, eux mêmes subjectifs, et l'avis d'experts), ils ne doivent en aucun cas être considérés comme une définition du syndrome. Par ailleurs, les régions définies par le WPI sont totalement arbitraires et le calcul du SS souffre d'une grande subjectivité inter-opérateurs.

En outre, il devient fréquent de voir des rhumatologues user d'une terminologie "syndrome fibromyalgique like" à l'égard de syndromes douloureux idiopathiques ne correspondant pas aux critères de l'ACR.

Pour ces raisons, ces critères ne font pas consensus dans la communauté médicale.

Examens complémentaires

Par définition tous les examens complémentaires sont normaux. Leur prescription ne se justifie donc que pour exclure des diagnostics différentiels selon la présentation clinique.

Ordinairement, une biologie sanguine (hématogramme, ionogramme, fonctions hépatique et rénale, VS-CRP, FAN, ANCA, FR, HIV, Syphilis) est au minimum réalisée en complément de l'examen clinique. Des examens radiologiques sont à envisager au cas par cas.

Diagnostics différentiels

Le diagnostic différentiel est large et varie selon la présentation clinique. Selon les cas, il recouvre les causes d'asthénie, des pathologies psychiatriques, des pathologies rhumatismales et/ ou les connectivites (pathologies inflammatoires chroniques des tissus conjonctifs).

La fibromyalgie restant un diagnostic d'exclusion, il convient d'exclure ces pathologies en cas d'anomalie à l'examen clinique objectif, de découverte d'une anomalie significative à un examen complémentaire ou de plainte évocatrice. Il convient également de pouvoir remettre en cause le diagnostic au cours du suivi le cas échéant. Il n'est en effet pas rare de voir un diagnostic de fibromyalgie rectifié en polyarthrite rhumatoïde ou autre pathologie après plusieurs années... Par ailleurs, l'association d'une symptomatologie fonctionnelle à ces pathologies est fréquente.

La fibromyalgie, enjeu socio-économique et politique

Ces vingt dernières années, la fibromyalgie et sa reconnaissance médico-sociale sont devenus un enjeu socio-économique majeur dans un contexte de crise des pays développés :

  • Elle représente un important marché-cible pour les firmes pharmaceutiques et divers acteurs tant de la "médecine conventionnelle" que des "para-médecines".
  • Pour les Etats, elle représente un coût financier et social potentiel conséquent au vu du haut taux de prévalence du syndrome, du coût important des prises en charge para-médicales et de demandes de reconnaissance d'invalidité partielle ou complète de plus en plus fréquentes parmi les patients. La situation en la matière varie selon les pays. Certains ne le reconnaissent pas, d'autres la reconnaissent mais limitent les remboursements de soins et statuent au cas par cas via les médecins conseils quant aux invalidités.
  • Pour les mêmes raisons, le nombre important de patients concernés en fait un enjeu dans le débat public, voire électoral.

Ces enjeux viennent compliquer la tenue et la compréhension des débats dont la teneur échappe aujourd'hui en grande partie au monde médical.

Pronostic

La fibromyalgie est généralement un syndrome chronique tendant à s’installer sur plusieurs décennies. Cependant, il est bien établi qu’elle peut se résoudre lorsque des facteurs de stress environnementaux sont résolus.

Il n’y a pas de complication médicale spécifique au syndrome et le taux de mortalité des patients n’est pas augmenté par rapport à la population générale. Cependant, bien que la majorité des patients maintiennent une activité socio-professionnelle satisfaisante, même si fréquemment altérée, une minorité présentera une impotence fonctionnelle variable interférant avec leurs activités.

Prise en charge thérapeutique - Traitements

Il n'existe pas de traitement spécifique à la fibromyalgie. Concernant la prise en charge symptomatique, elle reste empirique au vu de l'absence d'EBM satisfaisante.

Tout comme lors d'autres syndromes fonctionnels, il n'est pas rare que les patients soient revendicatifs voire agressifs envers un corps médical jugé négligent voire méprisant. Ils présentent par ailleurs fréquemment une dégradation socio-professionnelle et sont parfois persuadés d'être atteints d'une pathologie grave (élément péjoratif). En miroir, nombre de médecins sont encore souvent réticents à les prendre en charge.

Entre risque d'abandon et de surmédicalisation, la tâche n'est pas simple. Il convient d'exposer aux patients l'état des connaissances médicales et le fait que ne pas avoir d'explication ne revient pas à nier la réalité de leurs plaintes (éviter les phrases du type "tout ça c'est dans votre tête") ou les abandonner avant de conclure sur des propositions symptomatiques. Réévaluer le patient au cours du suivi (savoir remettre en cause le diagnostic en cas d'apparition de signes objectifs ou de modification évocatrice des plaintes).

Les enjeux de la prise en charge sont d'une part d'améliorer les plaintes du patient et, d'autre part, de préserver son insertion familiale et socio-professionnelle.

On peut envisager tout d'abord le recours à des degrés variables de :

  • Prise en charge para-médicale :
    • Exercice physique de type aerobic, 3 x 30 minutes/ semaine
    • Activités de relaxation de type yoga, tai chi,...
    • Prise en charge psychologique et/ ou sociale si nécessaire. Tenter d'identifier et d'aider à résoudre tout facteur de stress
    • Laisser la porte ouverte aux "médecines alternatives" si le patient les évoque spontanément... Ne cependant pas y prendre une part active. Le rôle de chacun ("médecin conventionnel" et "médecins alternatifs") doit rester clair pour le patient.
  • Traitement médicamenteux :
    • De manière générale, les traitements médicamenteux sont peu, voire pas, efficaces. Au vu de leurs effets secondaires et des risques d'assuétudes, leur usage est à minimiser. Le risque de surmédicalisation est majeur.
    • Monothérapie psychotrope. Choisir selon leur profil de tolérance parmi : amitriptyline (++ en première intention, de 10 à 75 mg/ jour au soir), desipramine, duloxetine, gabapentine, prégabaline,...

En cas d'échec (bonne compliance, essai de plusieurs monothérapies à doses maximales tolérées), on peut envisager :

  • Orientation vers une équipe spécialisée (comprenant idéalement un spécialiste en médecine physique ou rhumatologie, un psychologue ou un psychiatre, une équipe de kinésithérapeutes)
  • Sur le plan para-médical :
    • Séances de kinésithérapie, diverses méthodes de thérapie physique
    • Psychothérapie psycho-comportementale
  • Sur le plan médical :
    • Au vu du haut risque d'assuétude et de leur efficacité médiocre, n'utiliser les antalgiques que pour des périodes déterminées. Limiter au maximum l'usage de morphiniques. Proscrire de règle l'usage d'anti-inflammatoires non stéroïdiens et de corticoïdes.
    • Tenter une bi-thérapie :
      • Reprendre éventuellement le psychotrope déjà utilisé en cas d'efficacité partielle ou envisager : fluoxétine, paroxetine, citalopram,...
      • Prescription de combinaisons d'antalgiques : tramadol - paracetamol pour des périodes déterminées.

En cas d'échec (ou d'assuétude aux antalgiques avec impossibilité de respecter des périodes libres), orienter le patient vers une clinique de la douleur spécialisée. A noter que la notion d'échec thérapeutique est ici particulièrement subjective. Des plaintes persistant chez la majorité des patients, il s'impose de se baser en partie sur les répercussions concrètes dans leur vie socio-professionnelle.

Bibliographie

Canadian Rheumatology Association, Position paper on fibromyalgia, Apr 2013

Goldenberg DL et al., Clinical manifestations and diagnosis of fibromyalgia in adults, UpToDate, 2018

Goldenberg DL et al., Differential diagnosis of fibromyalgia, UpToDate, 2018

Goldenberg DL et al., Initial treatment of fibromyalgia in adults, UpToDate, 2018

Goldenberg DL et al., Pathogenesis of fibromyalgia, UpToDate, 2018

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Wolfe F, Clauw DJ, Fitzcharles MA et al., 2016 Revisions to the 2010/2011 fibromyalgia diagnostic criteria, Semin Arthritis Rheum, 2016

Wolfe F et al., The American College of Rheumatology Preliminary Diagnostic Criteria for Fibromyalgia and Measurement of Symptom Severity, Arthritis Care & Research, vol. 62, no. 5, may 2010, pp 600 – 610