Maladie de Behçet

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  Auteur(s) : Dr Shanan Khairi
  Date de dernière édition : 25/09/2024

La maladie de Behçet est une vasculite primaire à prédominance lymphocytaire ou polynucléaire selon l'âge des lésions, touchant les vaisseaux de tout calibres mais préférentiellement les petits vaisseaux. 

Il s'agit d'une maladie rare dont la prévalence varie de 0,1 à 7,5/ 100.000 habitants en Europe à 80 à 370/ 100.000 en Turquie. Elle débute préférentiellement entre 20 et 30 ans. La mortalité est très faible (atteintes cardiaques et vasculaires, perforations intestinales) mais le pronostic fonctionnel se dégrade rapidement (++ séquelles cumulatives des atteintes neurologiques et ophtalmologiques).

Son étiologie est inconnue, supposée multifactorielle (prédisposition génétique, virus, toxiques, hormones,…). Certains la considèrent comme une spondylarthropathie séronégative.

Clinique

Evolue par poussées irrégulières, sans parallélisme entre les lésions cutanéo-muqueuses et viscérales. Des états inflammatoires francs / fièvre sont rares. Le pronostic est conditionné par les atteintes oculaires et neurologiques.

Atteintes articulaires (5-70%)

Elles sont souvent précoces (quelques années avant les autres atteintes), ++ arthralgies/ oligoarthrites fixes des grosses articulations rarement destructrices, récidivantes et asymétriques. Radiographies (quasi)-normales, ponctions → liquide visqueux inflammatoire.

Possibles kystes poplités dont la rupture est difficile à différencier d'une TV ! Description de cas d'ostéonécroses (mais secondaire à corticothérapie ?). Des lombalgies avec raideur pseudopottique peuvent être l'expression d'un anévrisme aortique ou d'une thrombose cave.

Association décrite à de véritables spondylarthrites ankylosantes.

Atteintes musculaires

+++ myalgies diffuses / proximales. Cas décrits de véritables myosites. Biopsie montre une dégénérescence des fibres musculaires et une infiltration par des cellules mono/polynucléées. Les CK sont habituellement normales → si élevées, discuter une myopathie versus une rhabdomyolyse iatrogène sur colchicine.

Atteintes cutanéo-muqueuses (quasi 100%)

A rechercher systématiquement, indispensables pour le diagnostic. Parfois tardives

  • Aphtes buccaux (98%) : ulcérations douloureuses isolées/ multiples, bords nets, tapisée d'un enduit "beurre frais", pourtour inflammatoire
  • Aphtes génitaux (60-65%). Chez l'homme : bourses > verge > urêtre. Femme : vulve, vagin. Laissent des cicatrices dépigmentées.
  • Aphtes sur œsophage, estomac, intestin, marge anale… cause exceptionnellement de perforations.
  • Divers : érythème noueux, papules, vésicules, pustules, purpura, pseudo-folliculite, hyperréactivité aux agressions de l'épithélium

Atteintes oculaires

→ poussées récidivantes d'inflammation endo-oculaires avec destruction rétinienne progressive. Bilatéralisation fréquente, en 2 ans en moyenne. Uvéite ant à hypopion, uvéite postérieure très fréquentes (vasculites occlusives et nécrosantes, hémorragies, œdème rétinien, néovascularisation pré-rétinienne), aphte conjonctival, épisclérite, kératite.

Evolution généralement sévère → cataracte, hypertonie oculaire, cécité (50% des cas dans les 5 ans) par atteinte du segment post.

Atteintes neurologiques (4-42% des cas, ++ vers 40-50 ans)

Très variables. Peuvent survenir dans le contexte d'une maladie floride, après un sevrage thérapeutique inapproprié, après qq années d'évolution de lésions cutanéo-muqueuses aspécifiques,… et rarement être inaugurales (→ problème diag majeur !). Légère prédominance masculine.

Les signes neurologiques peuvent être précédés ou accompagnés d'inconstantes céphalées/ fièvre… et comportent :

  • Céphalées (83%)
  • Atteintes des nerfs crâniens (33%) : POM, V, VII, VIII
  • Syndrome pyramidal (33%) avec ou sans déficit (hémi/mono/paraplégie)
  • Troubles sensitifs (25%) subjectifs/ objectifs
  • Œdème papillaire bilatéral (21%)
  • Syndrome cérébelleux (21%)
  • Troubles de la déglutition (4%), incontinence (4%), dysarthrie (4%), ophtalmoplégie internucléaire (4%), névrite optique rétrobulbaire (4%)
  • Troubles psychiatriques (13% ! DD difficile avec ES d'une corticothérapie ou des troubles psychiatriques réactionnels)

Les principales atteintes neuro sont :

  • Atteintes méningo-parenchymateuses (60-80% des manifestations neurologiques)
    • Lésions : inflammatoires avec méningo-encéphalite et infiltrations périvasculaires témoignant de la vasculite / foyers de nécroses autour de vaisseaux de moyens et petits calibres témoignants de la thrombose vasculaire / altérations neuronales avec discrètes démyélinisation et gliose
    • L'IRM et la PL sont peu Sp
  • Thromboses veineuses cérébrales plus rares (jusqu'à 30% des formes neuro dans certaines séries), diagnostic difficile (fréquents symptômes d'HTIC spontanément résolutifs), à évoquer systématiquement face à des céphalées/ déficits neuros fluctuants ou mal systématisés/ convulsions/ troubles visuels avec œdème papillaire
  • Angio-Behçet avec atteinte des artères cervico-encéphaliques très rare, l'atteinte des petites artères est exceptionnelle
  • Atteintes du SNP et nerfs crâniens: VII et VIII, PNP des MI

Atteintes vasculaires

Très variées (DD d'un tableau vasculaire floride = syndrome des Ac antiphospholipides → à écarter systématiquement par une biologie, tout comme les anticardiolipines, résistance à la protéine C).

  • Thromboses veineuses (30% des patients) : TVS (++ fugaces et migrantes), TVP (! Fréquemment les gros troncs : ilio-fémoraux, VCI/S ! thromboses des veines sus-hépatiques = syndrome de Budd-Chiari), TVC. Moins emboligènes que les TV idiopathiques.
  • Atteintes artérielles : thromboses, anévrismes à haut risque de rupture

Atteintes pulmonaires

++ infiltrats parenchymateux +- hémoptysies +- pleurésies. Exclure systématiquement une EP, un anévrisme des art pulm ou une surinfection favorisée par les tts.

Atteintes cardiaques

Rares. Myocardites (! arythmies), endocardites (! valvulopathies Ao/ Mi, thrombus endocavitaires), péricardites (souvent récidivantes ! associations à des coronopathies), coronopathies (anévrismes et thromboses → risque d'infarctus, d'hémopéricarde, de mort subite).

Atteintes gastro-intestinales

Tableaux similaires à la RCUH ou au Crohn

Atteintes diverses

  • Rénales : exceptionnelles. Glomérulopathies prolifératives ou amyloïdes.
  • Testiculaire, épididymaire ou urétrale

Diagnostic et examens complémentaires

Le diagnostic est essentiellement clinique, les examens complémentaires sont peu sensibles et peu spécifiques:

  • Biologie : hyper leucocytose à PNN durant les poussées, anomalies de la fibrinolyse, facteur VIII élevé, complexes immuns circulants, cryoglobulinémie
  • Ophtalmologique (FO + angio fluo)
  • Biopsie cutanée d'une intradermo au sérum phy → vasculite avec dépôts de complément
  • En cas de poussées neuro :
    • Ponction Lombaire → habituelle méningite lymphocytaire + hyperprotéinorachie
    • IRM cérébrale → hypersignaux T2 (hypo T1) diffus (très évocateurs si confluents en de larges plages vers le TC/ diencéphale/ noyaux gris) persistants à moyen terme bien que s'atténuant. Possibles lésions vasculitiques punctiformes hyper en T2.
  • Examens angiographiques (CT, IRM ou conventionnelle) en cas de manifestations vasculaires

Le Behçet est à évoquer systématiquement face à des Thromboses Veineuses chez un jeune sans FR identifié.

Critères diagnostiques internationaux de 1990 (Se 91%, Sp 96%) :

Ulcérations orales récurrentes, récidivant > 3 x sur 12 mois + 2 critères parmi :

  • Ulcérations génitales récurrentes
  • Lésions oculaires (uvéite/ vasculite) objectivées par ophtalmologue
  • Lésions cutanées (érythème noueux, lésions papulo-pustuleuses, nodules acnéiformes)
  • Pathergy-test positif (lu à 24-48h post ponction cutanée avec aiguille 21G)

Prise en charge thérapeutique - Traitements

Colchicine (1 à 2mg/j) + antiagrégation ( AAS 160 mg/j) : pour les formes mineures (articulaires, cutanéo-muqueuses)

Corticothérapie :

  • Indications : formes oculaires, formes neurologiques, autres atteintes si grave
    • Eventuellement locale si uvéite ant
    • Bolus d'attaques (1g/j de solumédrol sur 3h durant 3-5j) si forme grave/ évolutive
    • Commencer à 1mg/kg/j durant 6 sem puis à diminuer de 10% / sem
    • ! risque de rechute important au sevrage → maintenir une dose d'entretien (5-10 mg/j) et prévenir les complications d'une corticoth au long cours
  • + anticoagulation si atteinte des vaisseaux prédominante (ex : TVC !) ! potentialise l'ostéoporose cortisonique

Immunodépresseurs :

  • ! Risque oncogène → pour les atteintes majeures / sévères
  • Permettent un sevrage cortisonique mais à distance (latence d'action !)
  • Azathioprine 2,5mg/kg/j
  • Cyclophosphamide 2mg/kg/j PO ou 750-1000mg IV 1x/mois
  • Chlorambucil 0,1-0,2mg/kg/j
  • Méthotrexate 7,5mg en 3 prises PO 1x/sem

Controversés / utilité non démontrée : disulone, thalidomide, plasmaphérèses, Ig IV, interférons, antibiothérapies

Bibliographie

EMC, traité de médecine AKOS, Elsevier, 2018

Jameson JL et al., Harrison's Principles of Internal Medicine, 20th edition, McGraw Hill Higher Education, 2018