Ostéopathie et chiropraxie : risques et bénéfices des manipulations vertébrales
Date de dernière édition : 25/09/2024
L'ostéopathie et la chiropraxie sont des disciplines paramédicales partageant la caractéristique d'user de "manipulations vertébrales" au cours de leurs pratiques. Il ne nous intéresse pas ici de définir, différencier et caractériser plus avant ces deux pratiques ou leurs différentes écoles tant sur le plan philosophique, théorique ou d'exercice. Il n'est pas plus question de prétendre à un quelconque degré d'expertise quant à ces pratiques. Il est question ici de discuter uniquement des manipulations vertébrales au travers du seul prisme médical qui est le notre.
C'est en effet essentiellement cette pratique qui fait débat au sein du monde médical quant à son efficacité et ses risques potentiels. Cette question se pose avec de plus en plus d'acuité dans les pays occidentaux pour plusieurs raisons :
- Les plaintes de douleurs chroniques ostéo-musculaires et céphalées sub-aiguës et chroniques deviennent un motif majeur de consultation et un enjeu psycho-social. Qu'il s'agisse de douleurs secondaires ou, de plus en plus souvent, idiopathiques, ces plaintes sont de prise en charge médicale fréquemment décevantes. Ce phénomène semble devoir être mis en relation avec le vieillissement de la population d'une part et l'augmentation des facteurs de stress d'autre part.
- Le recours de plus en plus fréquent des patients aux disciplines para-médicales, avec ou sans avis médical préalable.
- L'exercice de diverses pratiques para-médicales de plus en plus fréquent par des médecins eux-mêmes en complément d'activité.
- La multiplication des cases reports faisant état de complications médico-chirurgicales résultant de ces manipulations.
- La standardisation des formations, des pratiques, de la reconnaissance légale et d'une prise en charge financière publique des prestations des ostéopathes et des chiropracteurs est très variable selon les pays.
Les manipulations vertébrales
Le principe
Les manipulations vertébrales représentent une thérapie manuelle impliquant la mobilisation d'articulations rachidiennes à la limite de leur amplitude physiologique de mouvement. Ces manipulations sont fréquemment accompagnées de bruits audibles, les "craquements".
On distingue deux grands types de manipulations :
- Les manipulations "non spécifiques", à longs bras de levier, pouvant être de basse ou haute vélocité. Elles sont réalisées à l'aide des os longs des membres comme bras de levier pour amplifier la force exercée par le praticien
- Les manipulations "spécifiques", à courts bras de levier et haute vélocité. La force est alors habituellement appliquée sur les processus vertébraux transverses
Les hypothèses physiothérapeutiques
Plusieurs hypothèses théoriques sont évoquées quant à un impact positif de ces manipulations sur les douleurs ostéo-musculaires :
- Amélioration de la relaxation musculaire par l'étirement brusque de muscles chroniquement contractés
- Amélioration de la réactivité musculaire
- Rupture d'adhérences péri ou inter-articulaires
- "Déblocage" de segments d'articulations mobiles préalablement déplacés
- Sidération des récepteurs proprioceptifs entraînant une diminution des réflexes induits par la douleur
- Induction d'une modification des voies centrales de la douleur
Il n'y a cependant actuellement aucune étude convaincante démontrant l'une ou l'autre de ces hypothèses.
Aucune hypothèse théoriquement vraisemblable n'a jamais été formulée quant à un impact positif de ces manipulations sur d'autres conditions pathologiques.
Quels bénéfices ?
Les douleurs du "bas du dos"
Il n'y a pas d'evidence de qualité en la matière. De la littérature il ressort une amélioration symptomatique à court terme concernant les douleurs lombaires sub-aiguës et chroniques en addition d'un traitement médical seul. Il n'y a cependant pas de démonstration de différence significative par rapport à d'autres thérapies physiques.
Les douleurs cervicales, des épaules et les céphalées (maux de tête) chroniques
L'evidence est très faible en la matière. Il existe des petites études contrôlées randomisées démontrant une amélioration à moyen terme plus élevée que pour des patients traités seulement de façon médicale. Seule une atteint le seuil de significativité statistique et aucune n'effectue de comparaison avec d'autres méthodes de thérapie physique (dont la kinésithérapie) ou psychologique.
Les autres conditions pathologiques
Il n'y a pas de donnée dans la littérature en faveur d'un bénéfice quelconque des manipulations vertébrales pour les autres conditions pathologiques.
Quels risques ?
Les "plaintes bénignes"
De larges séries prospectives démontrent de fréquentes (concernant de 33 à 60% des patients selon les séries) plaintes "bénignes" et transitoires suivant les manipulations vertébrales, quelque soit leur type : vertiges, céphalées, paresthésies mal systématisées, majoration des douleurs chroniques, douleurs musculaires, plaintes aspécifiques ("tête vide", "pas bien",...).
Il n'y a cependant pas assez de données (en particulier, pas d'étude randomisée) démontrant une relation directe entre ces plaintes et ce traitement spécifique.
Les complications graves
Il n'y a malheureusement actuellement pas d'étude de qualité réalisée sur ce sujet. Il existe cependant plusieurs méta-analyses basées sur des case-reports et des petites séries évoquant une prévalence de complications graves jusqu'à 1 pour 20.000 manipulations vertébrales.
Hernies discales
Bien qu'il n'y ait pas de donnée statistiquement significative actuellement, de nombreux case-reports rapportent des herniations discales, compliquées ou non, dans les semaines suivant la réalisation de manipulations vertébrales.
Des manipulations cervicales : dissections des artères cervico-encéphaliques et accidents vasculaires cérébraux secondaires
Les dissections carotidiennes et vertébrales représentent une cause majeure d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques des patients de moins de 50 ans. Bien qu'aucune série n'atteigne actuellement le seuil de significativité statistique, de très nombreux case-reports et de petites séries associent la survenue de telles dissections, compliquées ou non d'AVC, dans les semaines suivant la réalisation de manipulations cervicales. Malgré ce niveau d'evidence très faible, les manipulations cervicales sont décrites, par consensus, comme une cause classique de dissections vertébrales ou carotidiennes par tous les guide-lines.
Des manipulations lombaires : syndrome de la queue de cheval
Résultant d'une atteinte compressive de la queue de cheval au sein du canal lombaire, quelques cas de ce syndrome ont été rapportés dans les semaines suivant la réalisation de manipulations lombaires. Bien qu'il y ait trop peu de données sur cette problématique, la pré-existence d'hernies discales, de troubles de la coagulation ou d'un traitement par anticoagulants sont considérées par consensus comme des facteurs favorisants.
Exercice illégal de la médecine
Bien qu'il s'agisse heureusement de cas exceptionnels au regard du nombre de manipulations vertébrales effectuées aujourd'hui, il existe de très nombreux cases reports de patients ayant directement consulté un chiropracteur ou ostéopathe ne leur ayant pas conseillé de consulter un médecin en parallèle, ce qui a mené à des omissions diagnostiques dramatiques de tumeurs spinales, primitives ou métastatiques.
En conclusion...
Il n'y a malheureusement toujours pas d'evidence de qualité quant aux bénéfices et aux risques des manipulations vertébrales. Considérant les données disponibles et le premier principe de la médecine, "Avant tout, ne pas nuire", il nous semble raisonnable dès lors de recommander pour l'heure :
- Concernant la prise en charge des douleurs ostéo-musculaires :
- De manière générale : préférer en première intention d'autres méthodes de thérapie physique dont le rapport bénéfice / risque favorable est mieux établi en association à la prise en charge médicale.
- Les médecins ne devraient pas recommander la réalisation de manipulations cervicales. Si des patients expriment leur désir d'y recourir de leur propre initiative, ils devraient être avertis des complications potentielles.
- La prescription de manipulations vertébrales lombaires est à discuter selon les préférences de chaque médecin et de chaque patient. En tout état de cause, il convient de les déconseiller en première intention et, dans tous les cas, chez les patients présentant des hernies discales et certaines autres anomalies articulaires, des troubles de la coagulation ou traités par anticoagulants.
- Concernant la prise en charge des autres conditions pathologiques :
- Qu'il s'agisse de l'asthme, des troubles digestifs fonctionnels ou de toute autre problématique que les douleurs ostéo-musculaires, les médecins ne devraient pas recommander les manipulations vertébrales.
Enfin, il ne nous semble pas opportun pour des médecins d'exercer une discipline paramédicale quelle qu'elle soit (cet avis n'est donc nullement spécifique à l'ostéopathie ou à la chiropraxie) en complément d'activité. Bien que la tentation soit grande, ces disciplines étant généralement de loin plus rémunératrices sur le plan horaire que l'exercice de la médecine en Europe, les médecins doivent garder à l'esprit qu'une telle pratique pose en effet plusieurs questions éthiques : conflit d'intérêts entre prescription et exécution, développement d'une confusion des patients quant aux frontières entre les différentes disciplines, risque de confusion des praticiens eux-mêmes quant aux fondements parfois contradictoires de leurs différentes pratiques. De façon plus lapidaire et sans jugement de valeur, on pourrait résumer cet avis par : "à chaque métier ses spécificités et à chacun son métier".
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