Pancréatite chronique
Date de dernière édition : 27/09/2024
Une pancréatite chronique est une inflammation chronique du pancréas, évoluant sur un mode continu ou par poussées, entraînant une fibrose et une destruction du parenchyme pancréatique suivie d'une insuffisance exocrine puis endocrine.
L'alcoolisme chronique en est la cause largement dominante. La maladie se déclare généralement après 40 ans. Sa prévalence est de 50/ 100.000 habitants. Sa mortalité est de 40 à 50% à 20 ans d'évolution.
Eléments de physiopathogénie et étiologies
La physiopathogénie des pancréatites chroniques est encore mal comprise. Cependant, un continuum entre pancréatites aiguës, pancréatites récidivantes et pancréatites chroniques est aujourd'hui bien établi. Le risque de développer une pancréatite chronique après une pancréatite aiguë est de 10%.
Quelque soient les mécanismes de la lésion initiale, toutes les pancréatites chroniques évoluent vers le même tableau anatomopathologique et la perte des fonctions pancréatiques.
Bien que l'alcoolisme soit la cause déterminante largement prépondérante, il est fréquent que plusieurs étiologies - ou facteurs de risque (en particulier des polymorphismes génétiques) - coexistent.
Alcoolisme - 50% à plus de 70% des cas
La durée de consommation est généralement de 10 à 20 ans, l’importance de la consommation étant corrélée à la sévérité clinique. La survie à 10 ans est de 70 à 80%.
A noter que le tabagisme est quant à lui considéré comme un facteur de risque et de sévérité des pancréatites chroniques, particulièrement dans le cas des pancréatites alcooliques.
Idiopathiques (absence d'étiologie retrouvée) – 10 à 30% des cas
Catégorie en baisse à mesure que plus de formes génétiques ont été identifiées et que les testings deviennent plus accessibles.
Divers - 10 à 30% des cas
Hyperparathyroïdie, hyperlipidémie, obstructives, formes héréditaires (mucoviscidose, pancréatite héréditaire,…), auto-immunes, radiothérapie, infections,…
Clinique
Peut-être due à des manifestations chroniques ou des poussées aiguës. L’évolution se caractérise d’abord par une phase asymptomatique puis par des crises inflammatoires aiguës récidivantes durant plusieurs années, suivie par l’apparition d’une insuffisance exocrine (maldigestion) puis endocrine (diabète) avec diminution des douleurs. La probabilité d’une poussée aiguë augmente rapidement dans les premières années d’évolution pour atteindre un plateau de 40% vers la 7ème année.
- Douleur abdominale de caractéristiques variables : aiguë, souvent épigastriques transfixiantes. Elle peut s'installer sur quelques heures à jours, être de survenue postprandiale ou après abus d’alcool durant quelques jours à semaines, fluctuante sur quelques mois ou sourde permanente. La douleur révèle la pancréatite dans 70 à 90% des cas. Elle est cependant absente dans 5 à 30% des cas selon les séries et tend à s'atténuer voire disparaître au fil de l'évolution. 5 ans après l’apparition des douleurs, celles-ci ont disparues chez 85% des patients.
- Malabsorption (amaigrissement, stéatorrhée, déficits vitaminiques) aux stades tardifs
- Diabète insulino-dépendant tardif (30% à 5 ans)
Complications
Les pseudo-kystes et kystes (concernent 10 à 50% des patients)
Il s'agit de collections de suc pancréatique, dans ou à distance du pancréas.
Les pseudo-kystes sont limités par un tissu fibro-inflammatoire et/ ou les organes de voisinages, les kystes par un épithélium. Ils peuvent apparaître au cours de l’évolution chronique ou suite à une poussée aiguë.
L'âge moyen d’apparition est de 45 à 50 ans, souvent 5 ans après le début clinique. On distingue les pseudo-kystes nécrotiques (situés préférentiellement à la queue du pancréas et dont les complications principales sont : hémorragies, surinfections, ruptures. Leur régression est possible dans les 6 semaines d'évolution lorsqu'ils sont uniques) et les pseudo-kystes rétentionnels (situés préférentiellement à la tête du pancréas et dont la complication principale est la compression du cholédoque. Leur régression spontanée est exceptionnelle) se développant à partir d'un kyste canalaire.
Clinique : douleurs (85%), vomissements (50%), masse abdominale palpable (25%), ictère (10%). Ils peuvent se compliquer de : rupture, abcès, infections, hémorragies, thrombose porte ou splénique avec hypertension portale, occlusion digestive haute, fistules,… 20% se résolvent spontanément.
Le diagnostic se fait par échographie ou CT-scanner. La CPRM (cholangiopancréatographie par IRM) peut être utile dans le bilan préthérapeutique. Si besoin, le traitement de choix est le drainage interne (le drainage externe risque de créer une fistule surinfectée).
Les pseudo-kystes à traiter d'emblée sont : infectés, hémorragiques, présence de douleurs importantes, compression d'un organe de voisinage.
Calcifications et calculs pancréatiques
Ils sont très spécifiques de la pancréatite chronique. Leur diagnostic s'établit principalement par CT-scanner. La probabilité de calculs à 2 ans du diagnostic d'une pancréatite chronique est de 33%, de 50% à 4 ans et de 85% à 15 ans. Le tabagisme pourrait être un cofacteur de risque d'apparition des calculs (controversé).
Compression de la voie biliaire principale (concerne 30 à 40% des patients)
Elle peut résulter d'une hypertrophie pancréatique (sur poussée aiguë ou fibrose) et se manifeste par : prurit, ictère, angiocholite (rare). Diagnostic établi par échographie, écho-endoscopie ou CPRE. En cas de cholestase : éliminer une cirrhose décompensée ou une hépatite alcoolique aiguë.
Hémorragies digestives
Sur rupture d'un pseudo-kyste ou rupture d'une varice gastriques ou œsophagiennes (sur hypertension portale segmentaire → compression ou thrombose de la veine splénique ou sur cirrhose alcoolique). Une thrombose de la veine splénique et des varices gastriques sont présentes chez 10% des patients.
Epanchements séreux
Ascite ou pleurésie sur fistule à l'occasion des poussées aiguës. Parfois révélateurs. Le liquide est riche en protéine et amylase.
Insuffisances pancréatiques
Endocrine (diabète) et exocrine (stéatorrhée, diarrhée, inconfort abdominal, maldigestion et perte de poids, ostéopénie).
Divers
Pseudokyste splénique et rupture de rate, sténose ou obstruction duodénale ou pyloro-bulbaire, pseudo-anévrismes des artères avoisinantes.
La survenue d'un adénocarcinome pancréatique est rare mais plus fréquente dans les pancréatites héréditaires (dépistage nécessaire chez les patients à haut risque) et/ ou en cas de continuation d'un éthylo-tabagisme.
Examens complémentaires et diagnostic
Toute douleur abdominale chronique inexpliquée chez un patient avec un antécédent de pancréatite aiguë doit faire suspecter une pancréatite chronique.
Le diagnostic repose sur 3 éléments : fibrose au sein du parenchyme + calcifications (pathognomiques) + anomalies canalaires visibles à l’imagerie. La présence d’une insuffisance exocrine est un argument supplémentaire, mais d’apparition tardive.
- Echographie et/ ou CT-scanner (le plus sensible pour les calcifications) : pancréas irrégulier, canaux dilatés, calcifications, pseudokyste ?
- CPRM : plus performante que le CT pour l'évaluation du parenchyme mais moins pour les calcifications.
- Evaluation des fonctions exo- et endocrines
- La biologie est généralement non ou peu contributive (les lipase et amylase pouvant être normales, diminuées, ou légèrement élevées. Possible augmentation de la bilirubinémie et des PAL en cas de compression des voies biliaires).
Au vu de ses risques et de la performance des autres examens, la CPRE n'est plus utilisée pour le diagnostic.
La radiographie n'a aucune place dans le bilan mais une découverte incidentelle de calcifications pancréatiques sur un AAB doit faire suspecter le diagnostic.
Diagnostic différentiel
Ulcères gastro-duodénaux et gastrites, lithiases biliaires, néoplasie du pancréas, ampullome vatérien (pouvant causer une pancréatite chronique obstructive. A évoquer devant une lésion focale nodulaire, des métastases hépatiques ou une sténose complète du Wirshung), poussée de pancréatite aiguë (diagnostic différentiel difficile en cas de pancréatite chronique non calcifiante),...
Prise en charge thérapeutique - Traitements
Traitement symptomatique des poussées aiguës : voir l'article consacré aux pancréatites aiguës
Traitement médical
- Sevrage impératif de l'alcool et du tabac (corrélé à une augmentation de la survie).
- Eventuel autre traitement étiologique.
- Traitement antalgique:
- 1ère intention : AINS
- 2ème intention : opiacés faibles (tramadol)
- 3ème intention : SSIR, tricycliques, gabapentine, prégabaline,...
- 4ème intention : bloc coeliaque, traitements endoscopiques ou chirurgical (cf infra)
- De l’insuffisance exocrine : fractionnement des repas, diminution des graisses, bonne hydratation, substitution en enzymes pancréatiques +- suppléments vitaminiques
- De l’insuffisance endocrine : régime diabétique, insulinothérapie
- Traitement des complications
- Corriger les troubles métaboliques (++ la calcémie et le taux de vitamine D dont les altérations sont un marqueur d'évolution péjorative)
Traitement endoscopique (CPRE)
- Sphinctérotomie endoscopique pancréatique
- Drainage naso-pancréatique ou par prothèse en post-op
- Dilatation, forage ou intubation des sténoses canalaires
- Pas de consensus sur la durée de l'intubation (2 mois à 1 an). Or, les prothèses plastiques se bouchent de règle en 4 à 6 mois… certains auteurs laissent la prothèse et ne la remplacent qu'une fois bouchée… mais c'est prendre le risque de complications graves…
- Complications précoces : pancréatite aiguë (5 à 40% des cas, ++ œdémateuses rapidement résolutives), (abcès pancréatiques, angiocholites)
- Complications tardives : migration de la prothèse (5%), occlusion (constant à terme), lésions canalaires (20 à 80%, mais la moitié régressent à 4 mois post-retrait de prothèse)
- Extraction des calculs pancréatiques (après sphinctérotomie et dilatation des sténoses)
- Une lithotritie extra-corporelle augmente le succès.
- Drainage endoscopique des kystes et pseudo-kystes (après sphinctérotomie) symptomatiques ou compliqués
- Transpapillaire
- Mise en place d'un drain nasopancréatique/ prothèse
- Par kysto-gastrostomie/duodénostomie
- Mise en place d'une prothèse en double queue de cochon ou drain nasokystique (si liquide infecté/ débris nécrotiques.
- Drainage de 2 mois en moyenne selon suivi radiologique de la disparition du pseudo-kyste
- Transpapillaire
- Echo-endoscopie interventionnelle
- Concerne principalement les kystes ne bombant pas dans la lumière digestive
Traitement chirurgical
Indication possible en cas de complications ou de douleurs non contrôlées par le traitement médical ou endoscopique :
- Dérivations
- Anastomose Wirsungo-gastrique ou jéjunale
- Anastomose choléco-duodénale ou jéjunale
- Anastomose gastro-jéjunale
- Anastomose kysto-duodénale ou gastrique ou jéjunale
- Exérèses pancréatiques :
- Duodénopancréatectomie céphalique
- Splénopancréatectomie
Bibliographie
EMC, Traité de Gastro-entérologie, Elsevier, 2018
Forsmark SE et al., Etiology and pathogenesis of chronic pancreatitis in adults, UpToDate, 2023
Freeman SD et al., Chronic pancreatitis: Clinical manifestations and diagnosis in adults, UpToDate, 2023
Freeman SD et al., Chronic pancreatitis: Management, UpToDate, 2023
Freeman SD et al., Overview of the complications of chronic pancreatitis, UpToDate, 2023
Hawkey CJ et al., Textbook of clinical Gastroenterology and Hepatology, 2d edition, Wiley-BlackWell, 2012