Syndrome de sevrage éthylique (alcoolique)
Date de dernière édition : 27/09/2024
Un syndrome de sevrage éthylique regroupe les manifestations cliniques survenant du fait d'une réduction ou cessation brutale de consommation d'alcool chez un alcoolique chronique. Fréquent, il s'agit d'une urgence médicale relative.
Eléments d'épidémiologie et de physiopathologie
Contrairement au tabagisme qui inclut toute consommation de tabac, la définition de l'alcoolisme chronique ne fait toujours pas consensus. Certains se basent sur l'existence d'une consommation quotidienne, d'autres d'un niveau de consommation hebdomadaire, d'autres d'une dépendance physique ou psychologique et d'autres encore de l'existence de conséquences physiques ou psycho-sociales dommageables.
De ce fait, il n'y a pas non plus de consensus sur la prévalence de l'alcoolisme chronique. Dans tous les cas, il est fréquent avec une prévalence dans la population générale en Europe et aux USA de 10 à 30% selon les définitions. Elle est plus élevée, 30 à 40%, chez les patients hospitalisées, l'éthylisme chronique étant un facteur majeur de morbi-mortalité.
La symptomatologie du sevrage éthylique résulte du fait que l'alcool est un dépresseur du système nerveux central par une action positive sur les voies inhibitrices (modulation de l'activité GABA) et une action négative sur les voies activatrices (modulation de l'activité glutamate).
Environ 20% des sevrages éthyliques se manifestent par une clinique "sévère". Il existe une prédisposition génétique. Les facteurs de risque d'apparition de symptômes sévères sont :
- l'importance de la consommation chronique d'alcool
- l'importance de la consommation d'alcool dans les 48h précédant le sevrage
- des antécédents de crises épileptiques ou de delirium tremens lors d'un sevrage précédent
- un âge supérieur à 30 ans
- la présence de pathologies intercurrentes (++ infections)
La mortalité d'un delirium tremens sans traitement est de 30 à 40%. Avec traitement adéquat, elle chute à 5%.
Clinique
Les manifestations cliniques apparaissent dans les 6 à 96 heures de la dernière consommation. Elles associent à des degrés variables :
- Manifestations "légères" :
- tremblements fins des extrémités, irritabilité, troubles du sommeil, anxiété, céphalées
- inappétence, nausées, vomissements
- hypertension artérielle et tachycardie, palpitations hypersudation
- Manifestations "modérées à sévères" - présentes dans 20% des syndromes de sevrages éthyliques :
- Hallucinations visuelles, tactiles ou auditives
- Crises épileptiques répétées (souvent entre les 12 à 24 heures du début du sevrage)
- Arythmies cardiaques
- Delirium tremens : "stade ultime"
- apparait généralement entre les 2ème et 4ème jours du début du sevrage
- "confuso-onirique" : confusion, agitation psycho-motrice sévère, tachypnée, insomnies, hallucinations, tremblements, dysarthrie, troubles de l'équilibre et de la coordination, mydriase, fièvre, tachycardie, transpiration, déshydratation
- peut évoluer vers une altération de la vigilance jusqu'au coma éthylique
- Fréquemment précédé et accompagné par des crises épileptiques
En cas de convulsions, d'altération d'état de la conscience ou de notion de chute, toujours exclure une autre cause ou complication du sevrage (ex : hémorragie intracrânienne post-chute).
Critères diagnostiques
En pratique le diagnostic d'un syndrome de sevrage éthylique se base sur un faisceau d'arguments cliniques et anamnestiques. Cependant, le DSM-V fixe la réunion des critères suivants :
- Arrêt ou diminution d'une consommation d'alcool "lourde et prolongée"
- Au moins deux critères parmi :
- hyperactivité autonome
- tremblement des mains augmenté
- insomnies
- nausées ou vomissements
- hallucinations transitoires auditives, visuelles ou tactiles
- agitation psychomotrice
- anxiété
- crises tonico-cloniques généralisées
- La symptomatologie est la cause d'un dysfonctionnement important (détresse psychologique, conséquences sociales,...)
- La symptomatologie n'est pas attribuable à une autre cause
Diagnostics différentiels et complications
Les diagnostics différentiels possibles sont nombreux et à évoquer selon la présentation clinique : causes de confusion, de tremblements, de crises convulsives,... Une attention particulière doit être accordée au syndrome de Wernicke (triade classique confusion - troubles de l'équilibre - troubles oculomoteurs) et des troubles métaboliques particulièrement chez les éthyliques chroniques. En pratique cependant, une prévention vitaminique adaptée (unique traitement et prévention du Wernicke) doit être systématiquement instaurée face à tout syndrome de sevrage éthylique.
Les complications potentielles sont également nombreuses. Les plus fréquentes sont les hémorragies intracrâniennes post-traumatiques (chutes sur la confusion, les troubles de l'équilibre ou les convulsions), les arythmies cardiaques, les pneumonies de fausses déglutition et les complications iatrogènes (infections nosocomiales, Wernicke déclenché par l'administration de perfusions glucosées ou mixtes sans supplémentation vitaminique associée,...).
Examens complémentaires
Le diagnostic est exclusivement clinique et ne nécessite aucun examen. Cependant, afin d'exclure des diagnostics différentiels et/ ou des complications, sont réalisés de manière systématique :
- Biologie
- Electrocardiogramme (ECG)
Non systématiques mais fréquemment réalisés :
- CT-scanner cérébral - systématique en cas de notion de chute ou d'absence de renseignements sur les circonstances de début
- Electro-encéphalogramme (EEG)
- Gazométrie artérielle
- Radiographie thoracique
Les autres examens (ponction lombaire, compléments de biologie,...) ne se justifient qu'au cas par cas.
Traitement - prise en charge
Une prise en charge ambulatoire après évaluation médicale peut être choisie en l'absence de critères de gravité clinique et d'un patient entouré socialement de façon adéquate :
- supplémentation vitaminique B1-B6 (befact 1 à 3 co/ jour), maintien d'une supplémentation vitaminique adéquate à distance
- diazepam (valium) 10 mg 4 à 6 x/ jour, maximum 60 mg/ jour en ambulatoire
- Suivi clinique quotidien durant au moins 3 jours
La survenue de crises épileptiques, de troubles du rythme cardiaque, d'une altération de la vigilance, d'hallucinations, de fièvre, de troubles de l'équilibre, ou de signes inhabituels au syndrome imposent une évaluation et prise en charge hospitalière. En l'absence de signe de gravité mais en cas d'isolement social du patient, il faut également l'envisager. Prise en charge en phase de sevrage végétatif ou de pré-délirium tremens :
- diazepam (valium) 10 mg 4 à 6 x/ jour (maximum 120 mg/ jour), PO à privilégier
- vitamine B1 (200 - 500mg/j IV les 5 premiers jours puis relais avec du befact PO min 3 mois) - B6 – PP + oméprazole 20mg/j
- prévention habituelle ulcère de stress et thrombo-embolique : oméprazole 20 mg/ jour et clexane 40 mg/ jour SC
- Hyperhydratation jusqu'à 3 à 6 l/ jour en privilégiant le NaCL (0,9%) ou mixte
- Prise en charge symptomatique selon clinique (oxygénothérapie, intubation, ventilation mécanique, benzodiazépines et anticonvulsivants IV, anti-arythmiques, haldol, antibiothérapie,...)
A noter que, de règle, les médications telles que les anti-arythmiques ou les anti-épileptiques doivent être arrêtés à distance du sevrage. En particulier, la récurrence de crises convulsives de sevrages ou d'intoxications éthyliques en l'absence de maladie épileptique ou de lésions épileptogènes se préviennent par une couverture de benzodiazépines et non d'anti-épileptiques (en pratique, il est cependant souvent difficile de déterminer la bonne attitude, les patients alcooliques concernés ayant fréquemment des lésions cérébrales post-traumatiques potentiellement épileptogènes).
Bibliographie
EMC, Traité de médecine AKOS, Elsevier, 2018
Hoffman, Management of moderate and severe alcohol withdrawal syndromes, Uptodate, 2022
Holt SR, Ambulatory management of alcohol withdrawal, Uptodate, 2022
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