Syndromes neurologiques périphériques : orientation face à une poly ou multineuropathie
Date de dernière édition : 22/09/2024
Les polyneuropathies et multineuropathies regroupent les pathologies caractérisées par l'atteinte de plusieurs groupes anatomiques distincts de fibres nerveuses périphériques. Rarement, la co-existence de plusieurs mononeuropathies peut mimer un tel tableau.
Les polyneuropathies (PNP, parfois dénommées improprement polynévrites, ce qui présume une origine inflammatoire) sont des neuropathies périphériques disséminées relativement symétriques, généralement à prédominance distale et touchant les membres inférieurs avant les membres supérieurs, avec extension proximale tardive. Elles sont fréquentes (prévalence de 2 à 7% de la population) et concernent majoritairement les > 50 ans. Les étiologies les plus fréquentes en Belgique sont l'alcoolisme et le diabète. Elles sont parfois (partiellement) réversibles après traitement étiologique lorsqu'il est possible. Une présentation asymétrique plaide plutôt en faveur d'une mononeuropathie ou d'une multinévrite.
Les polyradiculoneuropathies (PRP, parfois dénommées polyradiculonévrites) témoignent d'une atteinte similaire mais associée à l'atteintes des racines nerveuses (→ atteinte proximo-distale à prédominance motrice +- atteinte des muscles du tronc et paires crâniennes). Leurs étiologies sont dominées par le syndrome de Guillain-Barré pour les formes aiguës et les CIDP pour les formes chroniques.
Les multineuropathies (MNP, parfois dénommées multinévrites ou "mononeuropathies multiples"), plus rares, sont des neuropathies périphériques asymétriques touchant plusieurs tronc nerveux de façon séquentielle ou simultanée.
La démarche diagnostique face à ces syndromes est difficile et, au terme d'un bilan exhaustif, 25% des PNP restent d'étiologie indéterminée. Dans sa démarche, le clinicien est cependant aidé par la haute prévalence d'un nombre très restreint d'étiologies (diabète et alcool pour les polyneuropathies, syndrome de Guillain-Barré et CIDP pour les polyradiculoneuropathies, vasculites et diabète pour les multineuropathies), le mode d'évolution et, le cas échéant, les caractéristiques électrophysiologiques.
Orientation étiologique sur base clinique et électrophysiologique face à une poly ou multineuropathie
Ces orientations ne sont que schématiques. Le diagnostic étiologique d'une neuropathie repose sur une démarche probabiliste et un faisceau d'arguments, aucune caractéristique clinique ou électrophysiologique n'étant pathognomonique d'une étiologie donnée.
Orientation en fonction du mode d'évolution et de la distribution spatiale
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Symétrique (PNP et PRP) |
Asymétrique (MNP) | ||
Aiguë (< 1 mois) |
Guillain-Barré Porphyrie Vasculites Toxiques et iatrogènes Neuropathie de l'USI (Rares : diabète, alcool, carences, diphtérie) |
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Vasculites (PAN, PR, LED, Churg-Strauss, Wegener, cryoglobulinémie) Borreliose |
Diabète Sjögren Lymphomes HIV Sarcoïdose Neuropathie héréditaire par hypersensibilité à la pression Lèpre Polyradiculonévrites multifocales |
Sub-aiguë (1-2 mois) |
Diabète Alcool Carences vitaminiques Toxiques et iatrogènes Vasculites Sarcoïdose HIV IRC Amyloïdose Hypoglycémies Hypothyroïdie Paranéoplasiques Polyradiculonévrites inflammatoires idiopathiques / secondaires |
Neuropathies à blocs de conduction multiples | ||
Chronique (> 2 mois) |
Dysglobulinémie Charcot-Marie-Tooth Neuropathie sensitive héréditaire Leucodystrophies |
Orientation sur base d'autres signes neurologiques associés
- Troubles oculomoteurs → Miller Fisher ? Botulisme ?
- Atteinte de paires crâniennes ou présence de déficits latéralisés → (méningo)-polyradiculoneuropathies ? HIV ? Vasculites ?
- Atteinte motrice prédominante avec amyotrophie précoce → PNP héréditaires ? Atteintes du motoneurone inférieur ?
- Confusion → Méningo-polyradiculnévrites ? HIV ? Vasculites ? Toxiques ? Iatrogènes ? Métaboliques ? Carentielles ?
Orientation sur base de signes extra-neurologiques
- Notion d'infection instestinale ou respiratoire les semaines précédentes → Guillain-Barré ?
- Douleurs abdominales aiguës accompagnant ou précédant les signes neurologiques, signes psychotiques → Porphyrie ? Décompensation diabétique ? Botulisme ?
- Eruption cutanée récente → atteinte du SNP dans le cadre d'une neuro-borréliose ?
- Macroglossie / purpura facial en lunettes → amyloïdose ?
- Organomégalie, oedèmes, ascite, hypertrichose, hyperpigmentation cutanée, notion d'endocrinopathies → POEMS ?
- Purpura / arthralgies / signes d'insuffisance rénale / Raynaud / (Sd d'hyperviscosité) → cryoglobulinémie (< lymphomes, Waldenström, myélome, MGUS, HCV, LED, PR, Sjögren, infections diverses, cancers, essentiel) ?
- Tremblement → IgM anti-MAG ?
- Dégradation de l'état général, atteintes multisystémiques, arthralgies, fièvre inexpliquée → vasculites ? syndromes para-néoplasiques ? Cryoglobulinémie ?
- Palpation de "gros nerfs", asthénie, séjour dans zone endémique → lèpre ?
- Enfant avec surdité, trouble de la vision nocturne, trouble de la vue ou déficit cognitif → Refsum ?
- Antécédents familiaux, début jeune → neuropathies héréditaires ? (amyloïdoses, CMT, NHHP, NSH, paralysies périodiques,…)
- Patient à l'USI, contexte de défaillance multi-viscérale, curarisation récente, état septique,… → neuropathie multi-factorielle des soins intensifs ?
Il faut toujours rechercher les changements récents de traitement, l'exposition à des toxiques domestiques/ industriels/ poissons tropicaux, les possibilités de piqûres de tiques récentes ou anciennes, les antécédents personnels et familiaux (de PNP et autres pathologies neurologiques, de porphyries, d'amyloïdose,...).
Orientation selon les caractéristiques électro-physiologiques et le mode d'évolution
A noter que pour des raisons discutables, les neuronopathies motrices (maladies du motoneurone - même inférieur) ne sont pas classés dans les neuropathies périphériques, au contraire des neuronopathies sensitives (ganglionopathies).
Par ailleurs, la division entre neuropathies "démyélinisantes" et "axonales" est très schématique. Les atteintes purement axonales ou démyélinisantes sont rares et ne se rencontrent qu'en phase aiguë. En outre, rarement, des étiologies de PNP se caractérisant typiquement par une atteinte à prédominance démyélinisante peuvent se présenter sous une forme axonale et inversément. Quelqu'en soit l'origine, toute neuropathie à prédominance axonale peut remplir les critères d'une neuropathie démyélinisante après une longue évolution.
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Aiguë (< 1 mois) |
Sub-aiguë (1-2 mois) |
Chronique (> 2 mois) |
Prédominance sensitive |
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Diabète Paranéoplasique Toxiques et iatrogènes Métaboliques Amyloïdose | ||
Prédominance motrice |
Guillain-Barré |
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CIDP Héréditaires Neuropathies à blocs de conduction | ||
Sensitivo-motrice |
Guillain-Barré |
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CIDP Diabète | ||
Atteinte autonome |
Pandysautonomie Diabète |
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Diabète Amyloïdose |
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Prédominance démyélinisante |
Prédominance axonale |
Neuronopathies sensitives = ganglionopathies | ||
Aiguë (< 1 mois) |
Guillain-Barré (rare : diphtérie) |
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Porphyrie Vasculites Toxiques et iatrogènes (rares : forme axonale de Guillain-Barré, diabète, carences, alcool) |
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HSV, VZV |
Sub-aiguë (1-2 mois) |
Polyradiculonévrites inflammatoires idiopathiques / secondaires (rares : dysglobulinémies, maladies de système) Toxiques (maléate de perhexilline) |
Diabète Alcool Carences vitaminiques Toxiques et iatrogènes Vasculites Sarcoïdose HIV IRC Amyloïdose Hypoglycémies Hypothyroïdie Dysglobulinémies Paranéoplasiques |
Paranéoplasique Toxique : sels de platine Sjögren Intoxications à la vit B6 Idiopathiques / dysimmunes / héréditaires | ||
Chronique (> 2 mois) |
Charcot-Marie-Tooth (CMT 1, CMT 4, CMT X) NMHS III Leucodystrophies Dysglobulinémies (IgM) |
Charcot-Marie-Tooth (CMT 2, CMT X) Neuropathie sensitive héréditaire Dysglobulinémies (IgG, rares) |
Examens complémentaires conditionnels de première intention
De manière générale, les examens complémentaires sont sur-utilisés dans la prise en charge des neuropathies chroniques. Aucun examen complémentaire (pas même une électomyographie-vitesses de conduction nerveuses [EMG-VCN]) ou avis spécialisé n'est recommandé en cas d'arguments cliniques en faveur de :
- PNP à prédominance sensitive distale ou autonome chez un diabétique
- PNP sensitive ou sensitivo-motrice distale chez un patient éthylique ou ayant une insuffisance rénale terminale
- PNP à prédominance sensitive distale chez un patient recevant ou exposé à un neurotoxique (++ chimiothérapies anti-cancéreuse) connue pour donner de telles complications
A l'inverse, toute poly- ou multineuropathie d'évolution aiguë justifie un bilan systématique aux urgences (ponction lombaire, biologie, radiographie thoracique).
Dans les autres cas, on effectuera une EMG-VCN. Les autres examens ne sont à réaliser qu'en cas d'étiologie non évidente ou d'atypie clinique et/ ou électromyographique par rapport à une étiologie identifiée.
A noter que des examens complémentaires visant à rechercher une infection à C. jejuni ou la présence d'anticorps anti-glycolipides ainsi que la répétition d'examens électrophysiologiques sont fréquemment réalisés au cours de la prise en charge des syndromes de Guillain-Barré et variants. Ces examens onéreux ne présentent pourtant aucun intérêt en routine clinique et ne sont pas recommandés.
Bref, il est malheureusement toujours nécessaire de rappeler que la réalisation d'un examen complémentaire ne se justifie que lorsque son résultat est susceptible de modifier la prise en charge d'un patient (ou, de façon plus marginale, a des implications médico-légales).
Electromyographie (EMG) et vitesses de conduction (VCN)
L'examen peut permettre de :
- Affirmer la neuropathie
- Préciser le caractère symétrique ou asymétrique, distal ou proximal, prédominance aux membres supérieurs ou inférieurs
- Prédominance sensitive ou motrice
- Préciser le caractère axonal ou démyélinisant
- Préciser la sévérité de l'atteinte
- Redresser le diagnostic vers une mononeuropathie (radiculopathie, plexopathie,...).
Biologie sanguine
A réaliser uniquement en l'absence d'étiologie évidente, elle comprendra : hématogramme-CRP, VS, fonction rénale et hépatique, ionogramme, HbA1c, TSH, sérologies HBV / HCV / HIV / Borrelia / Syphilis, électrophorèse des protides, B12, folates +- autres examens selon suspicion.
Récolte d'urine
Immuno-électrophorèse. Protéinurie.
Radiographie ou CT-scan thoracique
Arguments radiologiques pour une sarcoïdose, amyloïdose, cryoglulinémie, vasculite ou infection pulmonaire ?
Ponction lombaire
Impérative en urgence devant toute poly- ou multineuropathies d'installation aiguë ou sub-aiguë ou de mise en évidence d'une atteinte initiale démyélinisante aux VCN. Dans les autres cas, elle ne sera à discuter qu'en seconde intention en cas d'absence d'étiologie retrouvée.
Examens complémentaires conditionnels de seconde intention
Ces examens sont généralement d'une rentabilité médiocre. Leur réalisation ne doit donc être envisagée que chez des patients soigneusement sélectionnés (suspicion de maladie accessible à un traitement étiologique, absence d'argument étiologique).
Biopsie neuro-musculaire
Invasive, rentabilité souvent médiocre si non sélectif → à réserver de règle aux syndromes associés à des arguments clinico-biologiques pour une maladie de système, une vasculite, une infiltration lymphomateuse ou la lèpre et aux PNP chroniques axonales atypiques (CIDP ?), aux multineuropathies d'étiologie non évidente, aux neuropathies dont le lien avec une gammapathie est discutable et aux PNP évolutives avec absence complète d'argument étiologique.
Compléments de biologie sanguine
FAN, anti-SSA et SSB, ANCA, enzyme de conversion, anticorps anti-glycolipides et anti-neuronaux, cryoglobuline
Compléments radiologiques
CT-scanner thoracique, radiographies du squelette, PET-scan full body.
Divers
Selon contexte uniquement : test de Schirmer, biopsie des glandes salivaires accessoires, myélogramme / biopsie ostéo-médullaire, études génétiques,…
Principaux diagnostics différentiels
Dans leurs formes typiques, affirmer une PNP, PRP ou MNP est aisé. Certains cas atypiques doivent cependant faire discuter des diagnostics différentiels :
- Notion de claudication intermittente, de paraparésie ou de troubles sphinctériens → canal lombaire étroit ? myélopathie ?
- Quadraparésie aiguë, signes pyramidaux → myélopathie cervicale ?
- Clinique purement ou à nette prédominance motrice → ganglionopathies motrices ? Syndromes myasthéniques ? Myopathies ?
- Troubles oculomoteurs fluctuants et plaintes sensitives absentes ou douteuses → syndromes myasthéniques ?
- Formes aiguës dominées par des troubles moteurs symétriques → paralysies périodiques hypo ou hyperkaliémiques (toujours exclure une thyrotoxicose) ?
- Prédominance sensitive → atteinte cordonnale postérieure ? (Tabès, carence en B12)
- Symptomatologie d'origine non neurologique :
- De nombreuses pathologies de système, rhumatismales et des troubles psychiatriques peuvent amener un patient à être orienté à tort vers un neurologue sur base de plaintes sensitives peu systématisées, mal décrites ou de déficits "fonctionnels" (limitation sur douleurs ou rigidité articulaire). L'EMG-VCN affirmera alors souvent l'absence de neuropathie... cependant, il n'est pas rare que des anomalies électrophysiologiques (les PNP a/pauci-symptomatiques et les radiculopathies sont très fréquentes) sans rapport avec la symptomatologie ne soient mises en évidence et égarent le diagnostic...
- De nombreuses pathologies de système, rhumatismales et des troubles psychiatriques peuvent amener un patient à être orienté à tort vers un neurologue sur base de plaintes sensitives peu systématisées, mal décrites ou de déficits "fonctionnels" (limitation sur douleurs ou rigidité articulaire). L'EMG-VCN affirmera alors souvent l'absence de neuropathie... cependant, il n'est pas rare que des anomalies électrophysiologiques (les PNP a/pauci-symptomatiques et les radiculopathies sont très fréquentes) sans rapport avec la symptomatologie ne soient mises en évidence et égarent le diagnostic...