Polyneuropathies éthylo-carentielles
Date de dernière édition : 22/09/2024
Les polyneuropathies éthylo-carentielles (ou polyneuropathies éthyliques ou alcooliques) chroniques sont les plus fréquentes des polyneuropathies avec les polyneuropathies diabétiques. Elles compliquent généralement un alcoolisme sévère et ancien. Leur prévalence est > 30% chez les éthyliques chroniques.
Eléments de physiopathologie
La physiopathologie des polyneuropathies éthyliques reste mal comprise. On considère habituellement qu'elles résultent à la fois de :
- carences vitaminiques multiples dues aux ingestats alimentaires fréquemment inadéquats chez les éthyliques et à des troubles de l'absorption intestinale dus à la toxicité digestive de l'alcool
- les carences en thiamine (vitamine B1) étant supposées aggravées par un métabolisme glucidique augmenté par l'alcool
- neurotoxicité directe de l'alcool
Clinique
La sémiologie consiste typiquement en l'apparition d'une polyneuropathie sensitive, sensitivo-motrice et/ ou autonome d'apparition lentement progressive associant :
- fatigabilité à la marche
- crampes (++ nocturnes) et douleurs neuropathiques
- déficit moteur prédominant aux membres inférieurs, distal, bilatéral et symétrique, se manifestant fréquemment par un steppage bilatéral
- hypoesthésie distale, hyperpathie, dysesthésies
- hyporéflexie des membres inférieurs
- troubles de l'équilibre avec signe de Romberg non latéralisé
- troubles dysautonomiques : troubles trophiques, troubles de la sudation, troubles érectiles, hypertension artérielle, hypotension orthostatique, mal perforant plantaire (rare),...
Il existe cependant des formes plus rares caractérisées par des parésies d'installation rapide, extensives, tant distales que proximales. Dans les formes les plus sévères, elles peuvent réaliser une paraplégie flasque douloureuse s'installant sur moins de 24 heures. Elles s'inscrivent généralement dans le cadre d'un béribéri et s'accompagnent fréquemment d'une encéphalopathie de Wernicke.
Diagnostic différentiel
Le diagnostic de polyneuropathie éthylique est généralement évident (clinique typique en présence d'un éthylisme chronique et en l'absence d'éléments suggérant une autre étiologie).
Cependant, en cas de clinique atypique ou d'éthylisme non avoué, le diagnostic différentiel comprend les autres causes de polyneuropathies chroniques. A noter également que les éthyliques présentent une fréquence accruses de neuropathies de compression mais leur distribution est rarement confondante.
Dans les rares formes aiguës, les diagnostics différentiels comprendront selon la présentation : polyneuropathies aiguës (++ syndrome de Guillain-Barré), crises myasthéniques, myopathies éthyliques aiguës, syndrome de la queue de cheval, syndrome du cône médullaire,...
Examens complémentaires
En cas de clinique typique chez un éthylique chronique connu et sans argument pour une autre étiologie, le diagnostic est posé sur base exclusivement clinique et aucun examen complémentaire n'est recommandé.
Dans des cas sélectionnés, on discutera selon le contexte l'utilité de :
- Vitesses de conduction nerveuses (VCN) et électromyographie (EMG) :
- révèle généralement une atteinte axonale sensitive ou sensitivo-motrice
- une composante démyélinisante est cependant fréquente dans les formes avancées
- Biologie :
- hématogramme-CRP, vitesse de sédimentation (VS), fonction rénale et hépatique, ionogramme, HbA1c, TSH, sérologies (HBV, HCV, HIV, Borrelia, Syphilis), électrophorèse des protides, vitamine B12 et folates,...
- utilité de la CDT en cas de suspicion d'une consommation éthylique chronique non avouée
- Ponction lombaire :
- utile uniquement dans les rares présentations aiguës ou en cas de caractère d'emblée démyélinisant aux VCN
- Urines de 24 heures :
- protéinurie de 24 heures
- myoglobinurie dans les présentation aiguës où se pose le diagnostic différentiel de myopathie aiguë
- Radiographie ou CT-scanner thoracique :
- recherche d'arguments radiologiques pour une sarcoïdose, une amyloïdose, cryoglobulinémie, vasculite ou infection pulmonaire
- IRM ou CT-scanner lombo-sacré :
- exceptionnellement utile dans les présentations aiguës (exclusion d'un syndrome de la queue de cheval et d'un syndrome du cône médullaire)
Prise en charge thérapeutique - Traitements
- Traitement étiologique :
- Sevrage éthylique, suivi psychiatrique
- Correction des carences
- polyvitaminothérapie (++ B1 et B6). A maintenir tant que persiste une consommation éthylique (également prévention de l'encéphalopathie de Wernicke)... en tenant compte du fait qu'une administration de hautes doses de B6 sur une longue période est neurotoxique (polyneuropathies sensitives et sensitivo-motrice). On peut proposer 3 mois de befact forte (complexe B1 et B6 hautes doses) 1 co/ jour puis un relais par du benerva (vitamine B1 seule) 1co/ jour +- becozyme (complexe multivitaminique) 1co/ jour.
- augmentation des apports protéiques
- Traitement symptomatique :
- Parfois nécessaires : kinésithérapie et prise en charge médicamenteuse des douleurs neuropathiques
Dans les rares formes aiguës, une hospitalisation avec des perfusions (vitamines B1 500 à 1000 mg/ jour, B6 250 mg/ jour, cernevit 1 ampoule/ jour) durant 5 jours (puis relais vitaminique per os minimum 3 mois) sur le modèle de l'encéphalopathie de Wernicke (souvent présente dans ce cas) sont recommandées, sans véritable evidence.
Pronostic
En l'absence de sevrage éthylique, l'aggravation progressive de la polyneuropathie est inéluctable.
En cas de sevrage éthylique, l'évolution peut se faire vers une stabilisation ou une très lente amélioration (sur plusieurs années). Plus l'éthylisme est ancien et/ ou la polyneuropathie sévère, plus le pronostic de récupération est défavorable.
Bibliographie
Bradley WG et al., Neurology in clinical practice, 5th ed., Butterworth-Heinemann, e-dition, 2007
Charness ME et al., Overview of the chronic neurologic complications of alcohol, UpToDate, 2022
EMC, Traité de neurologie, Elsevier, 2018
Rutkove SB, Overview of polyneuropathy, UpToDate, 2022