Intoxications aiguës fréquentes

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  Auteur(s) : Dr Shanan Khairi
  Date de dernière édition : 5/11/2022

Les intoxications aiguës, volontaires ou accidentelles, constituent une des principales causes d'hospitalisation, particulièrment chez les sujets jeunes. Du fait d'imprécisions méthodologiques, leur incidence n'est cependant pas déterminable.

Les agents les plus fréquemment impliquées sont l'alcool, les médicaments (les plus impliqués sont les benzodiazépines, suivies des neuroleptiques, du paracétamol et des anti-dépresseurs) et les fumées.

La morbi-mortalité d'une intoxication est très variable selon la substance impliquée, la dose absorbée, l'âge et les co-morbidités. Ainsi, si la majorité des cas ne nécessite qu'une simple surveillance avec ou sans décontamination digestive, les intoxications au paraquat se soldent par une mortalité allant jusqu'à 80%.

De manière générale, toute suspicion d'intoxication aiguë nécessite un examen clinique, une anamnèse et un électrocardiogramme. Les autres examens complémentaires (gazométrie, récoltes d'urines, biologie, radiographie thoracique,...) sont à réaliser au cas par cas de manière raisonnée en fonction de la clinique et de la nature de l'intoxication. Il faut toujours rester attentif aux diagnostics différentiels (encéphalopathies métaboliques, chocs, sepsis sévères,…) et aux répercussions métaboliques propres à chaque intoxication... et garder à l'esprit qu'une part importante des intoxications implique plusieurs substances (++ lors de tentatives de suicide).

Attitude générale face à une intoxication "non compliquée"

Une intoxication aiguë non compliquée est ici définie comme réunissant l'ensemble de ces critères :

  • Patient conscient, cohérent et mobilisant les quatre membres
  • Rythme respiratoire et cardiaque, tension artérielle, température et auscultation pulmonaire normales
  • Patient non cyanosé, non marbré
  • Absence de point d'appel abdominal
  • Absence de nouvelle anomalie à l'électrocardiogramme (ECG)

Dans ce cas, on peut schématiser la prise en charge ainsi :

  • Anamnèse : nature du ou des toxiques, dose maximale envisagée pour chaque substance rapportée au poids du patient, délai depuis l'ingestion, co-morbidités
  • Appel au centre anti-poison de référence si nécessaire pour définir : paramètres à surveiller, indications d'hospitalisation, de surveillance intensive, d'évaluation chirugicale
  • Décontamination digestive :
    • Contre-indications : risque de fausse route, altération de la conscience (→ administration via une sonde gastrique), ingestion de caustiques, de produits moussants ou d'hydrocarbures
    • Charbon activé :
      • Une dose unique si produit toxique, à dose toxique, avec un délai d'ingestion inférieur à 1 heure
      • Doses répétées à discuter si : carbamazépine, digitaline, phénobarbital, quinine, quinidine, théophylline, salicylés, toute forme à libération prolongée
    • Lavage gastrique uniquement en cas de substance non adsorbable par le charbon activé :
      • Éthanol, méthanol, éthylène glycol, lithium (dans l'heure suivant l'ingestion, n'importe quand pour le lithium à libération prolongée), sels de fer, métaux lourds
  • Analyse toxicologique : peut être utile face à certains toxiques dont l'effet peut être retardé mais prévu selon la concentration sanguine (ex : paracétamol, valproate, éthanol, phénobarbital, salicylés,…). Importance médico-légale selon la nature du toxique
  • Maintien en observation +- surveillance clinico-biologique particulière ou transfert USI (ex : ingestion de chloroquine et autres cardiotropes) ou unité chirurgicale (ex : ingestion de bases ou d'acides forts) selon l'avis du centre anti-poison

Attitude générale face à une "intoxication compliquée"

Une "intoxication compliquée" correspond aux situations ne répondant pas aux critères précédents. Dès lors :

  • Admission hospitalière systématique
  • De règle, la priorité reste la prise en charge symptomatique de toute défaillance organique.
  • On discutera ensuite une décontamination digestive selon la clinique.
  • Un traitement spécifique par antidote (certitude non nécessaire) est parfois possible.
  • La diurèse alcaline concerne principalement les salicylés et le phénobarbital (à confirmer par analyse toxicologique)
  • La diurèse saline est réalisée en cas d'intoxication au lithium après mesure de la lithiémie et exclusion des contre-indications à la charge sodée
  • L'épuration extra-rénale n'est discutée qu'en cas de troubles métaboliques sévères et/ ou la présence de taux sanguins très importants du toxique.
  • Toute situation dépassant l'équipe médicale sur place justifie un appel au responsable de l'unité de soins intensifs

La démarche étiologique devra s'appuyer sur l'(hétéro)-anamnèse si possible et la clinique (reconnaissance d'un toxidrome). En cas de doute → appel au centre anti-poison de référence pour discuter de l'identification clinique.

L'analyse toxicologique (prélèvement sanguin sur tube avec anticoagulant + urines) peut être utile pour confirmer une suspicion diagnostique (en cas d'absence d'orientation, les screening larges doivent être réservés aux cliniques sévères), pour préciser le pronostic ou les indications thérapeutiques.

Tout coma (score de Glasgow inférieur ou égal à 8/15) toxique nécessite, outre la prise en charge usuelle, d'emblée :

  • Oxygénothérapie au masque systématique. Indications larges d'intubation et de ventilation mécanique, même en cas de "coma peu profond". Transfert en USI dès que possible.
  • Pose de 2 perfusions et débuter par un remplissage vasculaire systématique
  • Pose systématique d'une sonde urinaire et surveillance horaire de la diurèse
  • Surveillance de la glycémie, de l'ionogramme, des fonctions rénale et hépatique, des gaz sanguins et de la lactatémie

Il faut distinguer quelques situations particulières :

Coma présumé toxique avec collapsus cardio-vasculaire (état de choc)

La prise en charge sera celle de tout état de choc. Pronostic vital médiocre, séquelles fonctionnelles habituelles en cas de survie. Orientation physiopathologique et étiologique rapide :

  • Température < 32°CCollapsus hypotherme (complication non spécifique des intoxications, cf l'article Hypothermie pour la prise en charge)
  • Absence d'hypothermie + QRS larges > 0,1 secondes à l'ECG + troubles de repolarisation, T plates ou QT allongésintoxication à un stabilisateur de membranes ?
    • Discuter l'administration d'un antiarythmiques de classe I (flécaïnide, disopyramide, cibenzoline, propaférone, quinidine, lidocaïne, procaïnamide), certains β-bloquants (propranolol et acébutolol ++, nadoxolol, pindolol, penbutolol, labétalol, oxprénolol), antidépresseurs polycycliques (amitriptiline, clomipramine, dosulépine, maprotiline), antiE (carbamazépine, phénytoïne), phénotiazines, dextroropoxyphène, chloroquine, quinine, cocaïne.
    • Si le QRS > 0,16 secondesle pronostic vital est compromis à brève échéance
      • → recours aux sels de sodium hypertoniques (bicarbonate ou lactate de sodium molaire)
        • En cas d'échec → discuter un recours aux catécholamines +- une assistance circulatoire périphérique
  • Absence d'hypothermie + QRS fins < 0,1 secondes → évoquer :
    • Etiologies non spécifiques :
      • Choc septique sur pneumopathie d'inhalation
      • Choc hypovolémique accompagnant une rhabdomyolyse étendue
    • Toxiques spécifiques : méprobamate, phénothiazines, inhalation de fumées d'incendie (intoxications cyanhydrique sévère associée à l'intoxication oxycarbonée → intubation et  ventilation à l'oxygène pur + hydroxocobalamine IV 5 g en 15 minutes), opiacés (hypovolémie relative sur vasodilatation)
  • Bradycardie → évoquer : hypothermie, intoxication aux opiacés (++ héroïne et morphine), intoxication aux benzodiazépines, intoxication à des associations de psychotropes et de β-bloquants (propranolol ++) ou anticalciques
  • Arythmies ventriculaires → évoquer : antidépresseurs polycycliques
  • Acidose métabolique sévère :
    • Lactacidémie > 10 mmol/l chez une victime d'incendie → évoquer une intoxication cyanhydrique + oxycarbonée
    • Autres cas d'acidose lactique sévère → évoquer d'emblée : metformine, antitussifs (clobutinol), raticides (chloralose, crimidine)
    • Si le trou anionique ne peut être expliqué par l'élévation des lactates → évoquer une intoxication sévère au méthanol, à l'éhtylène glycol ou aux salicylés

Coma présumé toxique avec acidose métabolique

Le pronostic est alors sombre et le diagnostic étiologique doit être rapide. Dès les fonctions vitales assurées, réaliser :

  • Echantillon urinaire ou capillaire : recherche de corps cétonique (acidocétose diabétique ?)
  • Ionogramme sanguin et urinaire, contrôles de gazométrie, fonction rénale et hépatique, dosage des créatines kinases (CK)
  • Calcul du trou anionique (TA) :
    • Acidose métabolique avec TA > 18 mmol/ l :
      • Expliquée par une hyperlactatémie conséquente :
        • Causes non spécifiques : collapsus cardiovasculaire, convulsions généralisées répétées, sepsis, insuffisance hépatique
        • Intoxications spécifiques : cyanure, metformine, intoxs graves au paracétamol (précède la phase d'insuffisance hépatique), propylène glycol, salicylés (critère d'extrême gravité), antirétroviraux
      • Inexpliquée par la lactatémie :
        • A éliminer d'emblée : insuffisance rénale, acidose diabétique
        • Intoxications spécifiques : salicylés, (rares : paraldéhyde, méthanol, éthylène glycol)
    • Acidose métabolique avec TA < 18 mmol/l (= hyperchlorémique) :
      • Causes non spécifiques : diarrhées abondantes, (perte rénale de bicarbonates)
      • Intoxications spécifiques : chlorure d'ammonium à fortes doses

Convulsions toxiques

Les convulsions, résultant d'un effet toxique direct, de complications métaboliques ou d'une toxicité cardiovasculaire, sont souvent répétées lorsqu'elles surviennent. Elles signent un risque important de :

  • Etat de mal convulsivant. L'ARCA est l'évolution habituelle d'un état de mal épileptique toxique non traité !
  • Anoxie cérébrale si non intubé → favorise la répétition des convulsions
  • Hypoventilation alvéolaire + acidose lactique → acidose mixte → favorise la répétition des convulsions
  • Rhabdomyolyse

Attitude :

  • La survenue d'une convulsion, même isolée au décours d'une intoxication est une indication impérative de surveillance en USI et de traitement symptomatique des crises !
  • Des convulsions répétées lors d'une intoxication constitutent une indication impérative d'intubation et de ventilation assistée !
  • Prise en charge d'un état de mal épileptique si nécessaire et monitoring-EEG si possible
  • Une intoxication associant benzodiazépiness et toxiques convulsivants contre-indique l'utilisation du flumazénil (antagoniste des benzodiaépines, risque majeur d'apparition d'un état de mal convulsif)
  • Traitement étiologique si possible. Orientation face à des convulsions toxiques :
    • Non spécifiques : hypoglycémies, sevrage en benzodiazépines
    • Intoxications spécifiques : anticholinergiques, antihistaminiques, antidépresseurs polycyliques, chloroquine, salicylés (++ chez l'enfant), chloralose, crimidine, lithium, antitussifs (clobutinol), cocaïne, amphétamines, monoxyde de carbone, intoxication à l'eau

Encéphalopathie myoclonique

La présence de myoclonies a une très grande valeur d'orientation étiologique et doit faire évoquer :

  • Syndrome sérotoninergique
  • Surdosage au lithium
  • Chloralose et crimidine (rodenticides) → myoclonies à la moindre stimulation, détection urinaire
  • Manifestation tardive de sevrages à : alcool, benzodiazépines, méprobamate
  • Non spécifique : anoxie cérébrale (++ post arrêt cardio-respiratoire récupéré)

Elles sont généralement de longue durée et se compliquent à bas bruit de troubles hydro-électrolytiques (déshydratation extracellullaire), d'encombrements bronchiques et de surinfections bronchopulmonaires.

Fièvre maligne toxique

La survenue d'une fièvre au cours d'une intoxication doit faire évoquer des complications infectieuses (++ si drogues IV) et métaboliques non spécifiques mais également certaines étiologies particulières :

  • Syndrome malin des neuroleptiques à évoquer de principe chez tout patient traité (hypertonie, augmentation des CK et ASAT) → administration de dantrolène au moindre doute, même si le plus souvent l'étiologie est une surinfection occulte
  • Syndrome sérotoninergique

Rhabdomyolyses

La survenue d'une rhabdomyolyse doit faire évoquer :

  • Des complications non spéciifiques : rhabdomyolyse de posture, coma toxique, convulsions répétées… association fréquente à une pneuompathie d'inhalation
  • Des intoxs spécifiques : ingestion de paraphénylène-diamine (teintures au Maghreb → rhabdomyolyse faciotronculaire caractéristique avec œdème cervical massif pouvant comprimer les voies aériennes en l'absence d'intubation), cocaïne, statines, loxapine,…

Elles doivent faire redouter la survenue :

  • D'une insuffisance rénale aiguë (IRA). Si précoce : évoquer une IRA fonctionnelle sur hypovolémie, les IRA directes sur rhabdomyolyse étant généralement plus tardives.
  • D'une myocardite toxique.
  • D'un syndrome compressif (syndrome des loges → urgence chirurgicale, insuffisance respiratoire → intubation,…).
  • D'un syndrome systémique associant hypotension artérielle, une acidose métabolique et une hyperkaliémie → réhydratation + alcalinisation + surveillance étroite de la diurèse + admission en USI

Intoxications aiguës fréquentes et éventuels traitements spécifiques

Les caractéristiques cliniques et les éventuels éléments de prise en charge spécifiques des intoxications aiguës les plus fréquentes sont abordées dans des chapitres spécifiques :

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD